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transport les plus prompts et les plus sûrs pour me rendre en Californie.

Je partis donc pour Guyandot ; mais j’étais à peine dans cette ville, que mes dernières hésitations avaient cessé. Je compris qu’il fallait renoncer à s’y procurer des bras pour l’humble besogne du défricheur ; les nouvelles de Californie avaient là, comme dans toute l’Amérique, exalté la population jusqu’au délire. Sur tous les murs, des affiches gigantesques portaient en grosses lettres les mots de : California and Goldfinders, et des milliers de curieux se pressaient pour les lire. Je fis comme tout le monde, je me mêlai aux groupes qui lisaient ou commentaient ces affiches avec enthousiasme. Le spectacle de cette foule agitée et bruyante n’était pas sans charme pour un étranger. Je retrouvais là cette population bigarrée d’émigrans et d’aventuriers de tous les pays que je m’étais déjà plu à observer sur le pont du steamer en remontant le Mississipi. J’écoutais curieusement les conversations des divers groupes, lorsqu’une main s’appesantit vigoureusement sur mon épaule. Je me retournai, et, à ma grande surprise, je reconnus le romancier français avec qui j’avais lié connaissance en faisant route pour Guyandot. On se souvient que j’avais vu ce singulier personnage quitter le steamer et s’enfoncer au milieu des forêts vierges avec une insouciance qui avait été pour moi-même, dans un moment de tristesse et de doute, une sorte d’encouragement ; était-il dit que je devais le rencontrer chaque fois que mon esprit timide aurait besoin de puiser quelque résolution dans les exemples d’autrui ? Quoi qu’il en soit, je répondis par un cordial serrement de main à la familière accolade de mon compatriote.

— J’ai joué de malheur dans ce maudit pays, me dit-il en devançant mes questions ; il s’est trouvé qu’au lieu de dix acres de bonne terre, je n’avais acheté au bord de l’Ohio qu’une magnifique tourbière encadrée par des forêts impénétrables. J’ai renoncé à planter ma tente en si triste lieu, et puisque le Pactole coule décidément en Californie, c’est là que je vais de nouveau tenter la fortune avec les débris de mon modeste pécule.

Je lui racontai mon histoire, et l’aventureux émigrant y vit le sujet d’un roman qu’il me promit d’écrire un jour. — Il n’y manque qu’un dénoûment, ajouta-t-il, et nous le trouverons en Californie. — On ne pouvait traduire plus nettement ma secrète pensée, et je ne sus répondre à mon nouvel ami qu’en lui donnant rendez-vous pour le lendemain sur le pont du steamer qui devait nous conduire à Saint-Louis, point de départ obligé de toutes les expéditions dirigées vers le Far-West.

La route qui mène à Saint-Louis est aussi celle des grands fleuves. On commence par redescendre l’Ohio jusqu’à son confluent avec le Mississipi,