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d’autres illustres marins, il devra des provinces en même temps que des victoires.

Mais, après Colbert et son fils, viendront les Ponchartrain et, malgré leurs efforts, les revers glorieux encore à la Hougue, désastreux pendant les dernières années de la guerre de la succession. La France y perd 56 vaisseaux.

Au témoignage d’un ingénieux commentateur, « loin d’être à cette époque en état de faire des constructions et des armemens, il fallait vendre pièce à pièce la plupart des effets des arsenaux pour faire subsister des officiers, des soldats, des journaliers. On compte en 1709, dans le seul port de Rochefort, plus de 600 hommes, employés dans la marine, morts réellement de faim et de misère[1]. »

La régence, le long ministère de Fleury, verront la marine s’éteindre comme une flamme qui n’a plus d’aliment, non sans jeter encore d’héroïques éclats. La France éprouvera cette douleur d’avoir 45 vaisseaux, en 1756, et de ne pouvoir les armer faute d’agrès, de matières et d’apparaux ; et comme si ces imposans débris que le temps aura épargnés pesaient aux ministres qui auront charge de la marine, ils vendront, après la prise de Mahon, jusqu’au dernier vaisseau. Voltaire démontrera que la France ne peut avoir une marine.

Mais, suivant la spirituelle remarque de M. Thiers[2], Voltaire mourut en 1778, au moment même où Louis XVI, par un effort qui attache un rayon de gloire à sa mémoire infortunée, relevait résolûment cette marine de ses ruines et allait lui faire produire non-seulement des actions d’éclat et des amiraux illustres, mais encore un grand résultat politique, l’indépendance de l’Amérique du Nord.

Malgré les embarras de finances qui précipitèrent la révolution française, cette œuvre aurait eu des conséquences bien plus importantes pour la grandeur de la France si, par un décret mystérieux de la Providence, la décadence de cette marine, si récente et déjà plus forte que celle de Louis XIV, n’avait dû être aussi rapide que l’avaient été ses accroissemens. Matériel puissant, personnel aguerri, officiers braves et expérimentés, rien ne manquait. Le souffle de la grande révolution passa. Tout ce qui avait combattu dans la guerre de l’indépendance fut emporté. Il resta de braves gens, mais ni la science du commandement, ni la discipline ; des vaisseaux bons et nombreux, mais vieillis et mal entretenus ; des approvisionnemens en partie épuisés et mal assortis, mal administrés. Trafalgar

  1. Principes sur la marine, tirés des dépêches et des ordres du roi donnés sous le ministère de M. de Ponchartrain, depuis chancelier de France, 1769. (Archives de la marine.)
  2. Discussion de la loi des 93 millions en 1846.