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prévoyante de Colbert, qui l’a en quelque sorte suscitée et qui l’avait jugée inséparable de la marine militaire. M. de Montalembert, dans la discussion de la loi des 93 millions, en 1846, offrait au pays, en regard de cet effort inespéré qu’il paraissait faire pour relever sa flotte de guerre, le spectacle douloureux de nos ports de commerce, naguère encore si florissans, aujourd’hui en pleine voie d’appauvrissement et poussés à la ruine par le négoce français qui les dédaigne. Il montrait ces bassins où le pavillon étranger domine et s’agite dans une activité incessante, tandis que le navire national pourrit oublié et que les chantiers de construction demeurent vides. Il signalait la disparition rapide des navires de grande dimension, et il évoquait devant la France, que de tels malheurs laissent indifférente, l’image du Portugal, autrefois puissance maritime du premier ordre, autrefois puissance commerciale, aujourd’hui tombé de son rang parmi les nations pour avoir abandonné son commerce à la merci du pavillon étranger.

Ne nous arrêtons pas à ce tableau. Nous n’ajouterions rien à l’impression produite par l’éloquent orateur, et c’est à ses paroles que nous renverrons ceux qui s’obstineraient à douter de l’étendue du mal et de l’urgence du remède[1]. Est-ce dans l’accroissement de nos armemens militaires que ce remède doit consister ? Si on pouvait le croire encore, c’est que l’expérience du passé nous aurait bien mal éclairés.

En 1820, les armemens étaient calculés sur le pied de 76 bâtimens portant 8,000 hommes embarqués. En 1825, ils s’élevaient au nombre de 105, montés par 15,000 hommes. De 1840 à 1842, les armemens constituaient une véritable flotte. 227 bâtimens nécessitaient, en 1841, l’entretien de 44,000 hommes, et de 1838 à 1846, l’effectif des équipages n’est jamais descendu au-dessous de 30,000 hommes. Sans doute, des éventualités de guerre ont gravement influé, à partir de 1838, sur le développement de cette force navale ; mais, indépendamment de cette influence, le désir des ministres de la marine de venir en aide à la navigation commerciale a conduit graduellement au développement des stations entretenues sur tous les points du globe. Quel a été pour notre navigation commerciale le prix des charges que la France s’est ainsi imposées ? Nos ports, dans la navigation de concurrence, ont vu se développer à leur détriment et le tonnage sous pavillon des puissances rivales et

  1. « En 1830, d’après les procès-verbaux du conseil de commerce, il y avait 14,800 bâtimens appartenant aux ports français ; en 1835, 15,506 ; en 1841, il n’y en a plus que 13,679, et sur ce nombre, 8,900 ont moins de 60 tonneaux, c’est-à-dire de vrais bateaux. D’après un autre calcul, en 1836 il y avait 861 bâtimens de 200 à 800 tonneaux ; en 1841, il n’y en a plus que 652 de 200 à 600 : c’est 209 navires retirés du commerce en moins de neuf ans. En 1827, il y avait des navires de 800 tonneaux en France ; maintenant, il n’y en a plus un seul ; il y avait 13 navires de 500 à 600 tonneaux, il n’y en a plus que 6. » (Discussion de la loi des 93 millions pour la marine, en 1846.)