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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/435

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de l’ancienne loi, se retirèrent dans le désert[1]. Bientôt leur nombre s’accrut. Judas Machabée se mit à leur tête après Matathias son père. Ils vainquirent les armées de Syrie, et ce fut de cette fuite au désert que sortit le salut de la Judée. Les Juifs, grace au courage des Machabées, continuèrent à être un peuple, un royaume et une église, jusqu’à ce que parût parmi eux le prophète fidèle[2].

Ce prophète fidèle, ce messie tel que l’attendaient les Juifs, ne devait pas communiquer aux étrangers la loi de Moïse, qui était le secret et le privilège du peuple élu ; mais il devait soumettre les gentils à l’empire des Juifs. L’idée, que Mahomet accomplit plus tard en Orient, d’avoir un peuple saint dominateur des peuples infidèles, est l’idée que les Juifs se faisaient de leur messie, avec cette différence que Mahomet aime à faire des prosélytes, tandis que le messie juif doit repousser les prosélytes avec le double fanatisme de l’esprit de secte et de l’esprit national. Au lieu d’accomplir la mission que lui auraient donnée les préjugés jaloux des Juifs, le messie chrétien appela les gentils à une loi nouvelle, qui n’était ni la loi juive, ni la loi païenne. La vocation des gentils a eu cela de remarquable, qu’elle rompit la barrière qui séparait les Juifs du reste du monde ; mais elle n’abaissa pas cette barrière devant la civilisation grecque, comme avait fait le parti helléniste à Jérusalem sous la domination des rois de Syrie ; elle l’abaissa devant une civilisation supérieure à la civilisation grecque et à la civilisation juive, et née de cette dernière. Les Juifs hellénistes voulaient être des Grecs ; les Machabées voulaient n’être que des Juifs. Des uns et des autres, Jésus fit des chrétiens, c’est-à-dire un peuple ; je me trompe, une église nouvelle.

Les Actes des Apôtres sont le récit de cette grande conciliation que fit le christianisme entre la civilisation grecque et la civilisation juive. Parmi les apôtres, ceux qui avaient encore l’esprit du judaïsme résistaient à cette vocation des gentils. Ils ne comprenaient pas que le Saint Esprit se répandît dans les nations étrangères, et ils blâmaient saint Pierre d’avoir baptisé le centenier Corneille ; mais saint Pierre leur répondait : Si Dieu a donné la grace aux gentils comme à nous, qui croyons en Jésus-Christ, qui suis-je pour m’opposer à la volonté de Dieu[3] ?

J’admire la ténacité du judaïsme, et cependant je suis persuadé, quand je lis Philon et Josèphe, et que je vois ces deux grands lettrés juifs s’approcher comme ils le font de la civilisation et de la littérature grecques, je suis persuadé que le judaïsme aurait fini par être vaincu par la civilisation

  1. Machab., liv. Ier, chap. II, v. 29.
  2. Judaei et sacerdotes eorum consenserunt hune (Simon Machabée) esse ducem suum et summum sacerdotem in aeternum, donec surgat propheta fidelis. (Machab., liv. Ier, chap. IV, v. 41.)
  3. Actes des Apôtres, chap. II, v. 17.