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des cavaliers et des chevaux se faisait seul entendre. À peine, de temps à autre, un hibou laissait-il tomber une note lugubre, ou un loup poussait-il un vagissement en nous regardant passer assis sur son train de derrière. — Tout va bien, disait le chasseur, et nous reprenions notre marche un instant interrompue. Cet homme m’inspirait une confiance aveugle ; mais je craignais que son intervention n’eût pas pour le squatter le résultat qu’on en pouvait attendre. Cette expédition, qu’avaient commandée chez moi un entraînement irrésistible et chez le romancier un sentiment généreux et désintéressé d’humanité, n’était presque aux yeux du Canadien que le prétexte d’une chasse. Pour lui, chasser l’Indien ou l’ours gris était le principal but, et peu lui importait d’arriver plus ou moins tard, pourvu qu’il pût satisfaire sa passion dominante. J’aiguillonnais donc de mon mieux l’insouciance du chasseur. Plus d’une fois j’avais cru entendre le son lointain et affaibli de coups de feu, et autant de fois j’en avais averti le Canadien, qui me répondait :

— Ce sont les rapides de l’Arkansas qui grondent, ou un troupeau de buffles dont l’écho renvoie les pas retentissans.

Nous ne tardâmes pas d’arriver près de l’Arkansas, dont le vent nous apportait depuis quelques instans les humides et fraîches émanations. Bientôt nous pûmes voir le fleuve briller dans son lit à la clarté de la lune. Le volume de ses eaux coulait impétueusement, malgré la sécheresse, entre des berges à pic sillonnées de veines crayeuses. Dans d’autres endroits, un lit épais de roseaux élevés encaissait le cours de l’eau.

— On tire par là-bas, criai-je de nouveau à Tranquille.

Le Canadien prêta l’oreille. — Eh ! qu’est cela ? s’écria-t-il tout à coup avec joie : ce sont eux, by god.

— Les voyageurs ? s’écria le romancier.

— Eh ! non, L’ours et le buffle dont je suivais déjà les traces sans vous le dire ; eh bien ! si je ne me trompe, vous allez avoir sous les yeux un spectacle qu’un millionnaire ou un roi paierait bien cher. Voyez de tous vos yeux, écoutez de toutes vos oreilles, et surtout laissez-moi faire.

Le chasseur, joignant l’action aux paroles, se hâta de mettre pied à terre, sa carabine à la main. Quant à nous, pressentant à peu près le spectacle qu’il nous promettait, nous attendions, le cœur palpitant et l’œil aux aguets. Un monticule nous dérobait les sinuosités de l’Arkansas. Nous ne pûmes bientôt nous méprendre à un retentissement sourd qui devenait de plus en plus distinct, et auquel ne tarda pas à succéder le bruit de cailloux froissés qui tombaient de la berge dans le fleuve. Au même instant, deux énormes masses noires vinrent couronner le sommet de l’éminence à une demi-portée de carabine de