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seul but : l’union en un grand parti des forces de tous les états indépendans de la péninsule. Il est triste aujourd’hui, utile cependant de rappeler ces sages avis trop oubliés de ceux qui les avaient reçus avec tant d’enthousiasme, et quelquefois de ceux-là même qui les avaient donnés avec le plus de talent et d’autorité. « Que l’on ne me dise pas, écrivait M. le comte César de Balbo en 1843, que les rebelles heureux fondent des droits nouveaux, de nouvelles légalités. Cela est vrai, mais à la condition d’être heureux. S’ils ne le sont pas, et jusqu’à ce qu’ils le soient, ce sont des rebelles ; ils ont contre eux tous les gens de bien, nationaux et étrangers. Au contraire, ceux qui, dans une entreprise bonne en soi, suivent le droit actuel, la légalité, la légitimité (tous mots synonymes), unissent la bonté de la fin à la bonté des moyens. Ils ont pour eux leur conscience libre de tous remords, ce qui est une première force ; ils ont aussi pour eux les gens de bien et l’opinion publique, ce qui est aussi une grande force ; ils ne dépendent pas du hasard, ils peuvent attendre l’occasion, ce qui de toutes les forces est la plus grande dans une entreprise ardue et de longue haleine… La France et l’Espagne nous ont fourni de terribles exemples, sans compter quelques petits exemples italiens. La première vertu nécessaire aux gouvernemens représentatifs, c’est la fermeté ; la seconde, la tolérance mutuelle. Ces vertus sont-elles les nôtres ? Mais, dira-t-on, si nous ne les avons pas, nous les acquerrons. C’est fort bien ; mais n’est-il pas fâcheux que cette éducation doive se faire durant l’entreprise d’indépendance[1] ? » Dans un petit écrit qui causa la plus grande sensation en Italie, M. le marquis d’Azeglio posait ces mêmes questions, et les décidait avec une raison égale. La position de cet écrivain était plus délicate encore, car son livre publié en 1846 avait pour but de faire connaître et d’apprécier les circonstances de l’insurrection récente de Rimini, insurrection d’origine assez singulière, mais qui, dans ses proclamations, avait arboré le drapeau modéré. » C’est une œuvre grave, disait M. d’Azeglio, voire même la plus grave qu’un homme puisse entreprendre, que de précipiter son pays dans la voie sanglante des révolutions ; car, une fois lancé, il devient difficile, sinon impossible, de fixer précisément la limite entre le juste et l’injuste, entre ce qui est utile ou funeste. On peut être conduit aux actions les plus généreuses, les plus grandes, ou bien entraîné vers les plus fatales erreurs. On peut devenir l’occasion de biens ou de maux immenses, rencontrer la gloire ou l’infamie, devenir la cause du salut ou de la ruine d’un peuple entier.

« Se jeter de sa propre autorité dans une telle entreprise, y mettre la main et lui donner le branle, peut être le comble du courage, ou de

  1. Delle Speranze d’Italia, cap. VI. (Capo di Lao, 1843.)