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et nous y dansions, sans nous douter, les uns du moindre danger, les autres de l’étendue et de la profondeur du mal. La mine a éclaté, et aujourd’hui la brèche est ouverte : nous nous en félicitons, si cette brèche, toujours béante et toujours menaçante, avertit la société de ses périls et de ses devoirs.

Si nous pouvions oublier un instant ces périls et ces devoirs, la publication de documens parlementaires comme le rapport de M. Ducos sur les comptes du gouvernement provisoire, par exemple, suffirait pour nous enseigner par qui nous avons failli être tout-à-fait gouvernés il y a un an, et par qui nous le serions maintenant, si le parti modéré ne savait pas user de sa victoire, non pour se venger, mais pour s’affermir. Nous avions souvent entendu dire par ceux qui avaient pu voir de près le gouvernement de l’Hôtel-de-Ville « qu’on n’en inventerait et qu’on n’en croirait jamais autant qu’il y en a eu. » Nous commençons à trouver le mot vrai après avoir lu le rapport de M. Ducos. Quelle comédie, si le fond n’était pas si sérieux ! Quelle profonde pitié, si les détails n’étaient pas si comiques

Le rapport vient à propos. Nous allons avoir des élections : il est bon qu’on sache le cas que les hommes de la dictature et leurs commissaires faisaient de la vérité et de la sincérité des élections. Ici, ce sont les élections générales qui sont prises à l’entreprise : il s’agissait surtout « de désigner aux soldats les chefs suspects dont l’influence était redoutée pour les élections. » (Déposition de M. Longepied.) Cette désorganisation de l’armée par la zizanie entre les soldats et les officiers et cette torsion générale des élections n’ont pas réussi, grace à Dieu ; mais l’essai en a coûté 123,000 francs. Ailleurs le commissaire désigne les candidats aux électeurs, se met en tête de la liste, fait imprimer les bulletins, répand des écrits, etc. Que ne votait-il tout seul pour tout le département ? C’eût été plus simple et surtout plus économique. Et les tournées électorales des commissaires ! et le transport de leurs personnes par des convois spéciaux en chemin de fer ! et la plantation des arbres de la liberté ! Il y en a un qui a coûté 2,000 francs et plus de plantation. Avec cette somme, je sais des gens qui auraient défriché et boisé dix hectares de friches sur nos montagnes. Et 4,000 francs de brassards achetés dans le but de provoquer l’enthousiasme des ouvriers en faveur de la république ! et les repas extraordinaires, et les frais de table des préfets ou commissaires ; et les voitures, et la musique ! que sais-je ? Avez-vous jamais vu dans nos anciennes comédies quelques-unes de ces scènes où un père de famille, parfois un oncle, examine les comptes de son fils ou de son neveu dont il veut payer les dettes. Quels détails ! quelles explications ! quelles réticences ! comme l’enfant prodigue s’est amusé ! L’oncle paie, mais il gronde. Ici la commission, qui joue le rôle de l’oncle, gronde bien quelquefois ; mais, scène plaisante et qu’il faut ajouter aux anciennes comédies, elle est souvent grondée. — Et par qui, direz-vous ? – Par les commissaires embarrassés de rendre leurs comptes, par les neveux. Il en est, qui prennent la chose de haut. Leur demander ce qu’ils ont fait de l’argent de l’état ? Fi donc ! ils l’ont employé au service de la république. « Ils croiraient manquer à tous leurs devoirs » s’ils disaient à quoi et comment, « Forts de leurs consciences, ils ne se croient pas obligés de justifier de l’emploi de la somme reçue. » En vain la commission prétend qu’elle tient ses pouvoirs de l’assemblée nationale qui est souveraine ; les commissaires déclinent la compétence de l’assemblée elle-même : ce qui veut dire, si nous ne nous trompons, que les répu-