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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/606

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REVUE DES DEUX MONDES.

ture, elle en vient à demander aux cabinets de l’Occident, à la France et à l’Angleterre, comment ils entendraient faire honneur à la convention des détroits protectrice de Constantinople, alors naissent les incertitudes et les irrésolutions. La France répond : Nous reconnaissons vos droits, nous vous souhaitons du bien ; mais nous traînons notre boulet ; vous avez pourtant un espoir ; gagnez l’Angleterre, et nous verrons. Sur quoi le divan insiste à Londres. L’occasion est belle, pense-t-il, puisque lord Palmerston est au pouvoir. Par malheur, il se pourrait que lord Palmerston n’eût point tout-à-fait pour la Russie la répulsion que l’on se plaît d’ordinaire à lui attribuer ; le noble lord semble, sans doute par instans prendre vivement à cœur l’intégrité de l’empire ottoman ; cela ne tire guère à conséquence ; la Russie a pu se convaincre par une longue expérience qu’il convient de distinguer en ce qui la touche entre les paroles et les actes du ministre whig ; la Russie ne s’alarme point de ces boutades. Lord Palmerston promet sans agir, et pour la Turquie force est d’attendre tout en se fortifiant sur le pied de paix armée.

Il est difficile de prévoir quelle sera la fin de cette occupation des principautés moldo-valaques, à laquelle les cabinets de l’Occident assistent depuis tout à l’heure dix mois. Plus les affaires de l’Europe seront compliquées, plus aussi la Russie sentira l’importance de la position stratégique qu’on a bien voulu lui laisser prendre dans la vallée du Danube. Elle y est assise tout à son aise ; il paraît même qu’elle considère déjà le sol des deux principautés comme une dépendance immédiate de la couronne russe ; car autrement le respect du principe de neutralité l’eût sans doute arrêtée dans cette expédition peu glorieuse, conduite de la Petite-Valachie sous les murs d’Hermanstadt. L’Autriche, en des temps plus heureux pour elle, aurait peut-être, comme en 1827 et 1829, pris en considération cet état de choses, si peu favorable dès à présent et de si mauvais augure pour la liberté du Danube ; mais, pendant qu’un général autrichien, rejeté par Bem en Valachie, viole lui-même la neutralité du territoire turc, en s’y reconstituant à loisir pour rentrer en Transylvanie, l’internonce d’Autriche à Constantinople marche dans des rapports étroits et intimes avec l’ambassade russe. Occupation de la Turquie, humble dévouement de l’Autriche, voilà donc les avantages respectables que le cabinet de Saint-Pétersbourg a retirés de la révolution de 1848 ; et telles sont les circonstances au milieu desquelles on annonce que M. Seniavin, dont les doctrines panslavistes sont bien connues, est appelé à remplacer M. de Titow. Qu’on nous permette à cet égard de hasarder une conclusion qui, sous couleur de science, est essentiellement politique et pratique : ou le slavisme fortifiera et sauvera la Turquie et l’Autriche, ou le panslavisme les détruira. Tant pis pour elles si elles ne le comprennent pas, et tant pis pour la civilisation si nous ne réussissons pas à les en convaincre.



V. de Mars.