Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les menant à fin avec un héroïsme acharné, je trouvais que M. Hermann Melville s’était peint lui-même très fidèlement. Cependant qui aurait osé affirmer l’authenticité de M. Melville et sa véracité ? Attaquer de front la critique du nouveau monde et celle du vieux monde eût été fort immodeste. Je me contentais de douter, lorsque le hasard me rapprocha de l’un des plus honorables citoyens des États-Unis, homme lettré et spirituel, au courant des choses intellectuelles de sa race. — Voulez-vous, lui demandai-je, m’apprendre le vrai nom de ce singulier écrivain qui s’intitule Hermann Melville et qui a publié aux États-Unis de si curieux contes, Mardi et Typee ?

— Vous êtes, me répondit-il, des gens trop subtils, qui cherchez malice à tout. M. Hermann Melville se nomme Hermann Melville ; il est fils de l’ancien secrétaire de légation de notre république près la cour de Saint-James. D’un tempérament fougueux et ardent, il s’embarqua de bonne heure, et, comme nous le disons, il suivit la mer. Fit-il partie du regular navy, ou monta-t-il à bord d’un privateer ? Quelles aventures marquèrent le cours de ses orageuses et peu classiques études ? Lui seul pourrait vous instruire là-dessus, et, si jamais vous visitez le Massachussets où il est établi et où il s’est marié, je vous conseille d’aller lui demander des renseignemens. C’est un homme athlétique, jeune encore, hardi et entreprenant de sa nature, un de ces hommes tout nerfs et tout muscles, qui se plaisent à lutter contre les flots et les orages, contre les hommes et les saisons. Il a épousé la fille du juge Shaw, l’un des magistrats les plus distingués de la Nouvelle-Angleterre, et il vit maintenant dans le calme de la vie de famille, entouré d’une juste et singulière célébrité dont il accepte le côté un peu équivoque ; car on le regarde généralement comme un conteur de fables bien faites, mais de fables à dormir debout. Sa famille, qui sait que les aventures racontées par lui sont genuine, n’est point flattée de la part d’éloges accordée à M. Hermann Melville en faveur de son imagination aux dépens de sa moralité. Son cousin, chez lequel j’ai passé l’été dernier, se récriait beaucoup contre cette obstination des lecteurs qui ne voulaient voir dans Typee et Omoo que des scènes fantastiques. — Mon cousin, disait-il, écrit fort bien, surtout quand il reproduit exactement ce qu’il a senti ; n’ayant pas fait d’études dans le sens ordinaire et accepté de ce mot, il a conservé la fraîcheur de ses impressions. C’est précisément à sa vie de jeune homme passée au milieu des sauvages qu’il a dû cette sincérité, cette vigueur, ce parfum de réalité bizarre qui lui donnent un coloris extraordinaire ; jamais il n’aurait inventé les étranges scènes qu’il a décrites. Le plaisant de l’aventure, c’est que, charmé de sa réputation improvisée, il n’a pas contredit ceux qui attribuent à l’éclat et à la fécondité créatrice de son imagination le mérite qui n’appartient qu’à la fidélité de sa mémoire. Il serait fâché, je crois, que l’on