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en mer, l’ouragan qui succède au calme sur ces eaux transparentes et sans fond, l’observation des tribus bizarres (à peine étudiées par les naturalistes) qui habitent cet Océan, seraient d’un intérêt vif si l’auteur n’en avait étouffé la vie et la réalité sous le luxe des circonlocutions, des exclamations, des divagations et des hyperboles.

Il semble aux Américains, comme à tous les peuples qui n’ont pas encore de littérature personnelle, que la simplicité soit vulgaire et la vérité du détail méprisable. L’hyperbole, entassant Ossa sur Pelion et Pelion sur Ossa, s’enveloppant de nuages qui détruisent la finesse et la sévérité des contours, est un des vices les plus communs des littératures qui commencent et de celles qui finissent. À ce premier défaut se joint l’incorrection née de la rapidité du travail. M. Hermann Melville n’use pas de la langue anglaise comme Wadsworth Longfellow, avec une habileté savante, ni comme Bryant, autre poète remarquable, avec une grace un peu timide. Il brise les vocables, renverse les périodes, crée des adjectifs inconnus, invente des ellipses absurdes ; et compose des mots insolites contre toutes les lois de l’antique analogie anglo-germanique, « unshadow, — tireless, — fadeless, » et beaucoup de monstres de cette espèce[1]. Néanmoins et en dépit d’un style inoui, les émotions de la mer sont admirablement rendues. Tantôt, sur le pont du navire, le matelot voit en elle le coursier rebelle et puissant que l’industrie, la patience et la science domptent à leur gré ; tantôt, sur la chaloupe fragile, c’est une force herculéenne qui se joue de l’homme comme le vent promène la plume dans les airs. Melville et Jarl ont calculé qu’en se dirigeant vers le sud ils ne pouvaient manquer d’atteindre une de ces îles fortunées, tout embaumées de parfums, qui émaillent l’Océan Pacifique. Dix-huit jours s’écoulent. L’eau va leur manquer, leur courage faiblit, quand une voile apparaît à l’horizon ; ils se dirigent vers le navire quel qu’il puisse être. C’est la nuit. Aucun bruit, aucun mouvement sur le pont ; point de lumière. Les voiles frappent les mâts de leurs lambeaux déchirés, que rattachent des agrès en débris. Jarl et Melville montent à l’abordage. Personne encore ; c’est un brigantin malais, de forme étrange, abandonné de son équipage, du moins à ce que l’on peut croire. Les deux aventuriers, lanterne en main, visitent l’entrepont et la sainte-barbe, y trouvent de vieux débris et des fragmens de costumes, des alimens et de la poudre, et, après avoir fait flotter leur

  1. Un-, qui exprime la négation comme l’a privatif des Grecs, ne peut précéder que les adjectifs, les adverbes et les verbes : un-earthly, un-willingly, un-tie. Less, adverbe exprimant la privation (los en allemand, le laus gothique), ne doit se placer qu’après les substantifs : father-less, penny-less. Ces principes qui émanent du génie spécial et sont adhérens à la logique du langage, règlent dans tous les idiomes de souche scandinave et germanique la formation puissante et large des vocables composés. Être infidèle à ces lois essentielles, c’est détruire l’idiome et en saper les racines.