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point de passé, qui ne connaît pas de ruines, qui ne marche pas en triomphe lugubre sous les vieilles arcades qui tombent et s’écroulent. L’églantier sauvage et le sapin odorant sont pour elle l’arche triomphale. Elle aime le creux des fraîches vallées ; elle ne s’enferme pas sous la voûte sombre de l’ermite. Vive la race du printemps !

« C’est une terre nouvelle et au berceau ; c’est un géant à peine né qui sourit dans sa force. Monde nouveau, monde de joie l’Océan le berce ; la rosée du matin couvre son front, la verdure qui caresse ses jeunes tempes est embaumée. Tout est pour lui fraîcheur, espérance, avenir, joie, entreprise et nouveauté ! Le jeune faon bondit près de lui, les jeunes fleurs sont en bouton, le rouge-gorge essaie ses ailes et ses chansons dès l’aube. Le géant déploie ses bras, il essaie ses forces ! Vive le jeune et hardi géant ! vive la race du printemps et de l’avenir ! »


Il y a peu de chants lyriques plus réellement beaux que celui-là ; le poète y est vrai quant à son émotion propre, vrai quant à ce qu’il exprime. Que deviendra en effet cette vaste Amérique où chaque année des flots de populations diverses viennent s’agréger au vieux noyau puritain et calviniste de la colonie anglo-saxonne ? Quel sera le génie de ce nouveau monde à peine ébauché ? C’est un des plus curieux sujets de spéculation et de conjecture qui puissent s’offrir au philosophe. Ce que l’on doit affirmer avec certitude, c’est, d’une part, que l’Amérique est très loin de son développement nécessaire ; d’un autre, c’est qu’elle atteindra des proportions qui repousseront l’Europe dans l’ombre. Les Européens sont trop portés à croire que la civilisation européenne renferme l’avenir et le passé du monde. Les zones de lumière changent ; la marche de la civilisation, celle de la science, la découverte successive et constante de la vérité non-seulement ne peuvent plus être l’objet d’un doute, mais cette vaste progression ascendante est seule conforme à la loi divine et à l’amour divin.

M. Melville a donc les yeux très ouverts sur le magnifique avenir de sa patrie ; il prédit ce qui arrivera certainement, la transformation de tout ce continent en une Europe immense et renouvelée. « Il est impossible, dit-il, que le Canada ne devienne pas indépendant comme les États-Unis. C’est un événement que je ne désire pas, mais que je prévois ; la chose, doit arriver. Il est impossible que l’Angleterre prétende conserver son pouvoir sur toutes les nations qu’elle a protégées ou couvées ; les vicissitudes éternelles des choses ne le veulent pas. L’Orient a peuplé l’Occident, qui à son tour repeuplera l’Orient : c’est le flux et le reflux éternels. Qui sait si des rivages de l’Amérique, aujourd’hui à peine habitée et qui débordera dans quelques siècles, des flots de jeunes gens et de vieillards n’iront pas régénérer l’Europe devenue déserte, ses villes ruinées et ses champs stérilisés ? » Malgré cette ardeur patriotique et cette confiance sans bornes, M. Melville adresse à ses concitoyens, sous le voile du symbole, il est vrai, des vérités dures et bonnes