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qui avait soulevé cette célèbre querelle portait le chiffre 45, et ce chiffre était resté un mot d’ordre. Ainsi le fiacre qui avait conduit le libraire au pilori avait été décoré d’un grand 45 ; les marchands adoptaient, autant que possible, le chiffre 45, et on raconte qu’un jour le jeune prince de Galles, malmené par le roi son père, ne trouva rien de mieux pour se venger que de crier : Vive le numéro 45 ! À l’élection de Brentford, le 45 reparut donc dans toute sa gloire, et le peuple, qui arrêtait les voitures, y traçait à la craie le chiffre sacramentel.

Après une lutte électorale d’une violence sans exemple, Wilkes fut nommé représentant du Middlesex. Le ministère reprit contre lui les poursuites avant la réunion du parlement. Le jour de l’ouverture, le peuple, qui croyait qu’il serait conduit à la chambre, se rassembla en masse devant la prison. Des pierres et de la boue furent jetées aux soldats ; les magistrats donnèrent lecture du riot act ; la troupe fit feu, et plusieurs hommes tombèrent. Le peuple ramassa un des cadavres et le porta à travers les rues ; l’agitation devint formidable. Des actes d’accusation furent portés contre les officiers qui avaient ordonné le feu ; les tribunaux autorisèrent les poursuites, mais le gouvernement approuva publiquement les officiers et les soldats. En même temps, la cour du banc du roi condamnait Wilkes à 1,000 livres d’amende (25,000 francs) et à un an de prison, et la chambre des communes l’expulsait une seconde fois. Une nouvelle élection eut lieu à Brentford ; Wilkes fut présenté et réélu sans opposition. La chambre le déclara inéligible, et l’élection fut recommencée ; Wilkes fut encore nommé, mais la chambre vota que les voix données à celui qui venait après lui étaient seules valables. Ainsi finit la guerre des « deux rois de Brentford, » comme on appelait le roi George et Wilkes.

Que devint ensuite cet homme qui avait joué un si grand rôle populaire ? Wilkes fit son année de prison, reparut plus tard à la chambre des communes, se réconcilia avec la cour, et devint à son tour un sujet de caricatures : ce qui prouve encore qu’il n’y a jamais rien de nouveau.

Nous entrons maintenant dans la grande période de la guerre d’Amérique et celle des guerres de la révolution. C’est dans l’histoire de la caricature un nouveau chapitre, qu’il convient de traiter à part.


JOHN LEMOINNE.