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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/750

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affectueusement chacun des assistans et se retira dans sa chambre, après nous avoir fait un dernier signe d’adieu du seuil de la porte.

Une heure plus tard, Charles-Albert s’éloignait seul, sans permettre à aucun de ses officiers de le suivre dans l’exil auquel il s’était volontairement condamné, sans même dire vers quels lieux il portait ses pas ; mais qu’importe la contrée où cet infortuné monarque fixera sa résidence ! Le respect des populations suivra partout le héros de l’indépendance, le martyr de la révolution italienne.

Une dernière aventure attendait sur le sol piémontais le roi déchu et fugitif. Le soir même de la bataille, les Autrichiens, campés dans les environs de Novare, avaient interrompu les communications entre cette place et Vercelli, et avaient établi sur la route deux pièces d’artillerie braquées dans la direction de la ville. Un fort piquet d’infanterie veillait près de la batterie, et une sentinelle avancée observait la route. Vers minuit, un bruit de roues se fait entendre dans le lointain ; on avertit le capitaine de garde que des pièces d’artillerie piémontaise semblent se diriger de ce côté. Aussitôt il fait allumer les mèches, ordonne de charger à mitraille et de tirer dès qu’on sera à bonne portée. Cependant le bruit devient plus distinct ; les soldats apprêtent leurs armes, les canonniers immobiles sont à leur poste. Enfin, au détour de la route, on voit poindre une lumière qui s’avance rapidement. — Mon capitaine, dit le sergent d’artillerie, ce n’est point de l’artillerie, c’est une voiture. — On regarde attentivement, et en effet on distingue bientôt une voiture attelée de quatre chevaux de poste qui roule à fond de train sur la chaussée. Aussitôt le capitaine suspend son premier ordre et s’avance avec une patrouille. Il arrête le postillon, s’approche de la portière et demande le nom du voyageur. — Je suis le comte de Barge, répond celui-ci, qui était seul dans la voiture ; je suis colonel piémontais, j’ai donné ma démission après la bataille, et je retourne à Turin. — Monsieur le comte, vous m’excuserez, mais je ne puis vous laisser passer ainsi ; il faut que vous me suiviez chez le général : il est ici, à quelques centaines de pas. — Comme vous voudrez, monsieur ; je suis à vos ordres. — Et la voiture, escortée de quelques hussards, se dirige vers le petit château servant pour le moment de quartier-général au comte de Thurm. L’officier monte et prévient le général qu’un comte de Barge, se disant colonel piémontais, vient d’être arrêté, se rendant à Turin, et qu’il attend en bas dans la voiture. — Qu’on le fasse monter, dit le colonel, et qu’on fasse venir le sergent de bersagliere que nous avons fait prisonnier ; si ce soldat le reconnaît, vous le laisserez passer ; sinon, vous le retiendrez prisonnier. Qu’on m’avertisse, en tout cas, de ce qui se sera passé.

En effet, le comte de Barge monte dans l’antichambre, et le bersajliere est mis en sa présence.