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prédis avec calme et avec paix, car mes pieds sont au bord de la tombe et mes yeux n’ont plus à voir que bien peu des choses de la terre. Je n’ai donc point de signes pour vous menacer ; c’est l’ancien des jours, c’est Dieu qui vous menace avec les signes de sa justice. »

Voilà de terribles paroles : qu’est-ce donc qui pousse le vieil Arndt et les partisans de l’unité germanique à parler de ce ton ? Hélas ! c’est que l’unité de l’Allemagne, comme la rêvaient les glorieux étudians de 1813, devient de plus en plus une chimère impraticable ; c’est que cette unité, telle qu’on a voulu la fonder, est condamnée par l’expérience. De là l’impatience des vieillards qui ne peuvent pas se décider à croire qu’ils ne verront point le jour de salut qu’avait espéré leur jeunesse.

Expliquons brièvement où en est arrivée cette œuvre de l’unité allemande, qui ne s’est perdue, comme tant d’autres choses, que pour s’être exagérée.

Nous avons souvent entendu dire que les livres allemands étaient admirables dans la préface et dans les digressions. Le point difficile est la conclusion ; c’est là où ils pèchent. Telle est un peu l’histoire de l’unité germanique. Tant qu’il s’est agi de prêcher cette unité comme un sentiment, d’en rechercher les traces dans l’histoire, tout a été à merveille ; c’était la préface. Quand il s’est agi même de faire une constitution commune à l’Allemagne et d’en discuter les articles, cela allait encore fort bien à Francfort ; c’étaient les digressions. Mais il a fallu enfin arriver à la conclusion, il a fallu donner un chef à cette Allemagne centralisée ; il a fallu rendre obligatoire cette constitution centralisatrice. Après avoir long-temps hésité et long-temps flotté, la diète de Francfort, à la fin du mois de mars, fit un coup de tête ; elle nomma le roi de Prusse empereur d’Allemagne, Comment la diète était-elle arrivée à cette décision ? Comment le roi de Prusse, autrefois peu populaire à Francfort, l’était-il assez tout à coup pour être proclamé empereur ? Nous avons expliqué dans leur temps ces bizarres vicissitudes, et nous n’avons pas à y revenir. Qu’il nous suffise de dire que la motion de nommer le roi de Prusse empereur d’Allemagne a été faite à Francfort par M. Welcker, c’est-à-dire par un des anciens antagonistes de l’influence prussienne. Qui a pu décider M. Welcker à ce coup de tête ? L’idée que l’œuvre de l’unité de l’Allemagne, qui était son rêve favori, devenait impossible, si un grand état comme la Prusse n’en faisait pas son affaire. C’est une politique de désespoir qui a inspiré M. Welcker et qui a déterminé le vote du 28 mars, c’est-à-dire l’élection du roi de Prusse comme empereur héréditaire d’Allemagne. Cette politique de désespoir a hâté la marche des événemens, elle ne l’a pas changée.

Pour se donner le plaisir d’avoir un empereur des Allemands, un successeur de l’empereur Barberousse, il avait fallu faire bon marché du pouvoir impérial ; il avait fallu, afin d’obtenir les votes de la gauche dans l’élection impériale, consentir au veto suspensif, à l’élection des membres de la diète par le suffrage universel, etc. ; il avait fallu enfin que l’empereur n’eût que le pouvoir d’un président de république. Voilà la couronne impériale qu’on offrait au roi de Prusse. On allait chercher un empereur à Berlin, mais on n’y portait pas un empire.

Le roi de Prusse est de l’école historique ; il est aussi de cette noble et chimérique génération de 1812 et de 1813, dont la destinée semble être de poursuivre