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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/784

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vrais, neufs s’il se peut, nourris de toutes sortes d’informations sur la vie et l’esprit d’un temps encore voisin de date et déjà lointain de souvenir. Je viens d’avoir[1] une ample occasion de parler une fois de plus du groupe qui marqua si brillamment dans l’inauguration du siècle Chateaubriand, Fontanes, Joubert, m’ont tour à tour occupé, et j’ai tâché d’assigner définitivement à chacun son rôle et son caractère dans l’œuvre commune ; il me reste à écrire encore un chapitre sur l’histoire littéraire de ce groupe, et je mets en tête le nom de Chênedollé, l’un de leurs amis les plus chers et l’un des poètes distingués d’alors. Quand on est parti ensemble pour un long voyage, pour une grande entreprise, quand le vaisseau est de retour triomphant, il est triste d’avoir laissé en chemin l’un des compagnons, et qu’il soit tombé dans le vaste abîme. Sans parler de Chateaubriand le triomphateur, Fontanes et Joubert ont survécu, et ils nous disent de penser à Chênedollé, injustement resté en arrière.

Le malheur de Chênedollé (malheur qui a été compensé pour lui par de bien douces jouissances au sein de la famille et des champs) a été de vivre trop long-temps loin de Paris, seul lieu où se fassent et se complètent les réputations littéraires. Les ouvrages pris isolément ne sont rien ou sont peu de chose pour établir un nom : il faut encore que la personne de l’auteur soit là qui les soutienne, les explique, qui dispose les indifférens à les lire, et quelquefois les en dispense. L’homme qu’on rencontre tous les soirs, qui a de l’esprit argent comptant, qui paie de sa personne, à celui-là on ne lui demande pas ses titres, on les accepte volontiers sans les vérifier. Il a du crédit ; son nom circule, et même si plus tard la vogue tourne, si le goût public se porte ailleurs, on se ressouvient long-temps de lui comme tenant à une époque précise, à une heure brillante et regrettée ; il a eu son jour.

Un autre inconvénient dont la renommée de Chênedollé s’est ressentie, c’est que ses œuvres elles-mêmes n’ont point paru à leur vrai moment, et qu’il y a eu de l’anachronisme en quelque sorte dans la date de ses publications. Les vers surtout, les vers devraient naître et fleurir et se recueillir en une seule saison. Ceux de Chênedollé (je parle de ses vers lyriques) sont nés près de Klopstock, se sont châtiés ensuite à côté de Fontanes, et n’ont paru que tard après les débuts de Lamartine et de Victor Hugo. L’effet qu’ils auraient eu droit d’espérer sous leur première étoile a été en partie manqué dans ce croisement d’astres tant soit peu contraires. Des pièces élevées ou touchantes, qui avaient certes leur nouveauté à l’heure de l’inspiration, et qui auraient placé le poète au premier rang des successeurs de Le Brun et parmi les initiateurs

  1. Dans un cours public professé à l’université de Liège. — Ce cours, devenu un livre, doit paraître vers la fin de l’automne chez le libraire Hachette, sous le titre d’Histoire de l’empire, dont il formera le tome premier.