Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

constitution débattue entre les souverains et les peuples n’aurait pas plus de chances de durée qu’une constitution arbitraire décrétée par un sénat métaphysique, ils cédèrent à l’entraînement des masses et repoussèrent toute conciliation avec les gouvernemens.

Elle va donc se réunir avec toutes ses prétentions aveugles, avec tous ses droits révolutionnaires, cette grande assemblée nationale, le premier congrès des peuples allemands. Il n’y a rien auprès d’elle pour lui faire contre-poids. La passion de M. de Soiron, de M. Heckscher, de M. de Gagern, l’a emporté sur la sage prévoyance de M. Welcker. Ah ! sans doute, elle a de grandes choses à accomplir. Si les cabinets de l’Allemagne avaient quelque part leurs représentans officiels, si la question de l’unité s’y débattait sérieusement, en pleine connaissance de cause, avec toute la science pratique indispensable en de telles conjonctures ; si l’on voulait, en un mot, tenir compte de la réalité et ne pas constituer par décret une Germanie imaginaire, l’assemblée de Francfort, assurément, ne bâtirait pas sur le sable. Instruite de ce qui est possible, elle n’élèverait pas un édifice de fantaisie ; elle ne construirait pas l’Allemagne comme le rêveur construit son système. La constitution qui sortirait de ce débat ne serait pas une œuvre impraticable, une œuvre pédante et fausse, et il ne faudrait pas donner le signal des guerres civiles pour venger l’humiliation de ceux qui l’ont votée. Grace à l’autorité dont l’investit la confiance populaire, elle obligerait les souverains à des concessions raisonnables, et, d’accord avec eux, d’accord avec l’expérience et le bon sens, elle travaillerait à régulariser partout les libertés, en resserrant peu à peu les liens de la patrie commune. Mais non ; l’esprit révolutionnaire ne l’a pas voulu ainsi. L’assemblée des notables a voté l’omnipotence du parlement, le comité des cinquante l’a maintenue, et voici le 18 mai qui s’approche. Les élections se sont faites avec calme. On a adopté presque partout le système à deux degrés, comme plus approprié à la présente situation de l’Allemagne et moins dangereux pour la tranquillité publique. Les électeurs de l’Autriche, de la Prusse, de la Bavière, du Wurtemberg, de la Saxe, de tous les royaumes, de tous les duchés, de toutes les villes, ont concouru avec empressement à cette formation de l’assemblée nationale. Du nord et du midi, on arrive à Francfort. Déjà M. de Soiron, dans la dernière séance du comité des cinquante, a félicité ses collègues sur leur intrépide attitude et déclaré leur mission terminée. La journée du 18 mai se lève. En présence de cette assemblée dictatoriale, en présence de cette convention qui apporte avec elle ou la glorieuse transformation du pays ou les horreurs de la guerre civile suivies du triomphe de l’absolutisme, il ne reste plus, hélas ! qu’à pousser en tremblant le cri des révolutions : alea jacta est !


SAINT-RENE TAILLANDIER.