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tard, l’orthodoxie ayant été vaincue, s’ouvrit l’ère des révolutions, pour cette discussion, dis-je, l’antiquité offrait un ouvrage admirable, à savoir l’Organon avec le syllogisme. Aristote vint donc prendre place dans la grande élaboration intellectuelle qui s’entamait, et deux livres, l’Écriture et les œuvres du philosophe grec, dominèrent toute la scolastique.

J’ai mis sur le même niveau la condensation du polythéisme gréco-romain en monothéisme et l’établissement de l’ordre féodal en place de l’ordre antique. En effet, ce n’est pas par une simple coïncidence que ces deux phénomènes se trouvent juxtaposés dans l’histoire. Semblablement ce n’est pas non plus par une simple coïncidence qu’avec la révolution mentale constatée par la réformation du XVIe siècle est survenue la révolution dans les choses. Enfin, ce n’est pas par une simple coïncidence que, sous nos yeux mêmes, à mesure que les vieilles notions s’enfoncent dans le passé, la société prend une face nouvelle, les aristocraties s’abaissent, les clergés perdent la direction de l’enseignement, les rois s’en vont et le peuple monte. L’histoire ainsi considérée excite un profond intérêt : sans doute, le cœur palpite de joie ou de douleur au milieu des événemens contemporains, sans doute il éprouve de vives et sincères sympathies pour les nobles actions, pour les grands services, pour les héroïques souffrances des générations qui nous ont précédés ; mais, sous ce tissu vivant de sentimens et de passions, on découvre, maintenant qu’on sait la voir, une loi long-temps reculée loin de nos yeux, une loi qui détermine la pente de la civilisation. Et certes, arrivée à ce point, la contemplation scientifique éprouve une satisfaction plus intime qu’au spectacle même des mondes roulant dans leurs orbites éternelles. Au ciel, c’est la régularité dans le silence infini qui charme et transporte l’esprit ; mais pour l’histoire, c’est la régularité dans le tumulte et l’agitation qui frappe et attire. À l’aspect de la civilisation humaine qui s’avance dans le temps, comme les mondes s’avancent dans l’espace, il semble voir un vaisseau qui, s’inclinant sans cesse tantôt sur un bord et tantôt sur un autre, se relève sans cesse et gouverne sous l’impulsion du vent qui le pousse et des flots qui le portent.

Le syllogisme a eu sa part dans cette élaboration. Dante place dans son paradis un certain Siger, qui, dit-il,

Sillogizô invidiosi veri,



vers qui a été ainsi rendu par un vieux traducteur français d’une manière non trop indigne du modèle :

Syllogisa discours dont on lui porte envie.



Un de nos érudits les plus versés dans l’histoire littéraire du moyen-âge