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des particules imaginaires ? Qu’est-ce que le fluide nerveux, sinon un fluide imaginaire ? Je conviendrai sans peine que des esprits accoutumés à ne pouvoir spéculer sur les données scientifiques sans le secours de fluides matériels ont dû recourir nécessairement à de telles inventions qui ont servi pendant quelque temps à fixer et rallier les idées ; mais, aujourd’hui, à quoi bon ces chimères ? Et n’est-il pas grand temps qu’un sage nominalisme nous délivre de ce réalisme parasite et arriéré ? Au moyen-âge, on fit justice d’un autre réalisme ; l’argumentation fut poussée à outrance, et les intelligences en sortirent plus lucides.


IV – EXTENSION DU NOMINALISME DANS L’ÈRE MODERNE.

Et de fait, après ce notable déblai, on vit plus clair autour de soi. Au bout d’un certain temps de tâtonnemens et d’expansion, où la nouvelle disposition mentale manifesta ses tendances propres, le courant, sur lequel des gens exercés par une analyse alors impossible auraient pu seuls discerner une pente insensible, recommença décidément à s’accélérer. Il est curieux de remarquer ici l’enchaînement des choses. On donne souvent, dans le langage, au mot logique l’acception de raisonner avec conséquence. En ce sens, je ne connais rien de plus logique que l’histoire ; tout y marche avec la conséquence propre à ces phénomènes-là où la filiation est le caractère essentiel : pour peu qu’on prenne un intervalle suffisant, la déduction apparaît manifeste ; mais ici, comme dans le reste, pour voir, il faut savoir, c’est-à-dire posséder la théorie. À défaut de cette lumière, tout est confusion, obscurité, chaos. Les conservateurs, qui défendirent le réalisme, et les novateurs, qui l’attaquèrent, obéirent les uns et les autres à la situation ; la question avait été posée à ce moment par le développement philosophique ils la débattirent et la jugèrent ; mais ce jugement, une fois acquis à la raison commune, vint inévitablement poser la même question sur un autre terrain et en déterminer par là une solution plus décisive. Ainsi arriva-t-il. Le dernier et le plus redoutable des nominalistes, Descartes, fit, comme on sait, table rase, effaçant provisoirement ce que la scolastique avait toujours laissé en dehors de la discussion, Dieu et l’ame, et étendant à toutes les conceptions théologiques ou philosophiques le même doute que l’école du moyen-âge avait jeté sur les entités des réalistes. On a dit que M. le docteur Strauss n’avait fait, dans la Vie de Jésus, que généraliser à toute la légende chrétienne le travail que la critique avait d’abord exécuté sur des points isolés. Cela est vrai, et il en est de même pour Descartes ; il généralisa l’objection élevée par le nominalisme, traita de la même façon une notion qui lui paraissait avoir besoin d’être reprise en sous-oeuvre, et qui, en effet,