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à leur décharge, le développement historique nous apprend rétrospectivement que leur effort ne pouvait avoir d’autre issue que l’issue effective, à savoir l’exécution du réalisme. Tout vint aboutir nécessairement à une action destructive, à une critique victorieuse. La métaphysique, loin de se trouver plus riche et plus féconde après cette opération, se trouva réduite et affaiblie ; elle se débarrassa, il est vrai, de certaines erreurs, mais elle ne les remplaça par aucunes vérités. Son ancien domaine n’avait pas été conservé intact, et ce qu’elle en gardait était demeuré stérile à rien produire de nouveau ; tel fut le bilan de la métaphysique après la longue liquidation du moyen-âge. Les derniers déchets infligés par Descartes et Kant ne sont que le prolongement de cette banqueroute de plus en plus irrémédiable.

De son côté, en quoi la métaphysique s’est-elle montrée habile à promouvoir la logique ? En rien, et sur ce point nous avons l’aveu des métaphysiciens eux-mêmes. La logique, entre leurs mains, n’a pas dépassé le syllogisme, et jamais elle ne le dépasserait. Sedet oeternumque sedebit infelix Theseus. Indépendamment du fait qui est là pour en témoigner, il y a une raison profonde qui dépend de la nature même des choses. La métaphysique, n’ayant rien à démontrer, ou, ce qui est équivalent, travaillant sur des questions qui ne sont susceptibles d’aucune démonstration, a toujours manqué de la réaction essentielle de l’objet sur le sujet et dès-lors n’a pu jamais créer aucune méthode scientifique au-delà de ce qu’il y a de plus élémentaire dans le raisonnement. Pour mieux déterminer ma pensée, je prends un exemple auquel j’ai déjà fait allusion. Le prétendu fluide électrique des physiciens n’existe point, et, en tout cas, ne comporte aucune démonstration : aussi a-t-on beau spéculer sur ses propriétés, on n’en tire jamais que ce qu’on y a mis, et elles ne fournissent rien au-delà de ce que les phénomènes et les expériences fournissent d’ailleurs ; mais, si le fluide électrique était réel, et si l’on en prouvait la réalité, cette preuve serait certainement accompagnée de notions nouvelles qui appartiendraient à cet agent. De même pour les notions agitées par la métaphysique. N’ayant rien de réel, elles ne donnent jamais que ce qu’on y a mis d’avance ; assez semblables à ces alchimistes du temps jadis qui, aux croyans en la transmutation, ne faisaient voir l’or tant convoité que quand le creuset contenait déjà le précieux métal. C’est à cette cause qu’il faut attribuer la stérilité de la métaphysique, à part l’exercice élémentaire qu’elle a donné à la raison et l’office critique qu’elle a rempli, exercice et office sans lesquels on ne pourrait en aucune façon concevoir le développement historique. Pour tout le reste, elle n’a jamais tenu qu’un seul des deux agens nécessaires à l’élaboration scientifique, à savoir l’intelligence ; l’autre lui a été toujours étranger, à savoir le monde extérieur. Or, il n’y a de fécond que le conflit du monde extérieur et de l’intelligence humaine.