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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/960

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dormir pendant quatre ou cinq heures sans s’éveiller ; si j’avais un couteau, je vous mettrais bientôt en liberté. — Je lui dis que je n’en avais pas. — J’en ai bien deux, me répondit-il, dans une gaîne que j’ai mise dans une de mes bottines, mais je ne puis y atteindre garrotté comme nous sommes. »

« … Je parvins à porter ma main jusque dans sa bottine, et j’en tirai cette gaîne fortunée avec les couteaux qui devaient nous procurer notre liberté. Patko prit bien vite un des couteaux, dont il coupa aussitôt nos liens. Cette opération ne fut pas plus tôt faite, que je croyais qu’il ne songerait, aussi bien que moi, qu’à prendre la fuite au plus vite ; mais, ayant aperçu une longue épée, et fort raide, que nos Tartares portent d’ordinaire sous leur cuisse lorsqu’ils sont à cheval et dont ils se servent pour tuer par derrière leurs ennemis quand ils les peuvent joindre, il la prit, et, sans m’en rien dire, il en perça le dos du Tartare qui nous avait pris, et lui porta le coup avec tant de violence, qu’il le perça d’outre en outre et le cloua contre terre. Il me dit que ces barbares dormaient d’un si profond sommeil, que rien ne pouvait les éveiller, et il est sûr que celui-là ne se réveilla jamais. Nous ne songeâmes plus qu’à sortir. Un beau clair de lune qui survint favorisa notre retraite si heureusement, qu’après deux heures de marche nous nous trouvâmes dans une plaine qui nous aida beaucoup à nous orienter. Nous n’avions pas marché encore dans cette plaine pendant une heure, que nous entendîmes le bruit que faisaient les Tartares en sortant de la forêt ; notre frayeur s’augmenta, et elle n’était que trop bien fondée par l’impuissance où nous étions de trouver un asile. Il fallut cependant faire de nécessité vertu, et chercher notre salut dans un grand étang qui se trouva sur notre chemin. Nous nous déterminâmes à y entrer, et nous nous enfonçâmes dans l’eau jusqu’au cou, à l’abri des roseaux dont il était entouré, n’ayant précisément que la tête hors de l’eau ; encore Patko coupa-t-il plusieurs roseaux pour nous la couvrir, afin de n’être pas aperçus. Cette précaution était d’autant plus nécessaire, que les Tartares y vinrent abreuver leurs chevaux, après quoi ils allèrent faire leurs courses, et nous donnèrent le temps de respirer. Lorsque nous les eûmes perdus de vue, nous sortîmes de notre humide retraite si morfondus, que je n’aurais pu faire un pas sans la crainte que j’avais de retomber entre leurs mains. Nous primes un chemin sans savoir où il devait nous conduire ; mais, heureusement, il nous mena droit au château de Bethlem, qui appartenait à un de mes oncles ; ce château, qui est assez commode, a quelques fortifications capables d’empêcher les Tartares d’en approcher. À peine y fus-je rendu, que la fièvre m’y prit très violemment… Patko, plus robuste que moi, en fut quitte à meilleur marché, car il se mit à boire et à manger copieusement, et se remit en très peu de temps, par cet exercice, des suites de toutes nos fatigues… »


Mais le comte Bethlem avait un mal plus dangereux que la fièvre ; l’amour et l’inquiétude mortelle où il était sur le sort de la princesse faisaient sa plus grande peine. Il persuada au fidèle Patko de se rendre à un autre château au-delà des frontières de Hongrie, où il venait d’apprendre que la princesse s’était réfugiée. Patko partit avec une épître qui malheureusement ne nous a pas été conservée.

« … La réponse que je reçus, continue le comte, me fit d’abord un vrai