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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/993

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à la Gazette de France, mais je ne me souviens plus du nom de ce dernier, et je ne suis pas même bien sûr de l’avoir jamais su. Ce dont je me souviens fort bien, c’est que tous ces messieurs sont des faiseurs de vaudevilles. Ainsi le sceptre pesant de la critique est remis à des mains accoutumées à se jouer de la marotte de Momus. Il faut donc espérer que les journaux seront plaisans. Si les nouveaux censeurs ont envie de rire, leurs devanciers n’ont point envie de pleurer. Fiévée a conservé dans ses attributions la plus haute correspondance où l’ambition humaine puisse aspirer, et on lui laisse 18,000 francs de pension pour un travail qui mériteroit d’être acheté au poids de l’or, s’il étoit aux enchères. On donne à Esménard 12,000 francs pour le Mercure, où il ne fera rien, à ce qu’il dit. M. de Lacretrelle aura une bonne place. Enfin, dans la tempête, l’or a plu sur les déplacés, et je ne vous conseille pas du tout de les plaindre. Il y a pour accompagnement à ces nouvelles bien des menus détails qui sont intéressans, mais vous ne pourrez les apprendre qu’ici. Hâtez-vous donc d’y revenir et de les demander à ceux que vous rencontrerez, car pour moi je m’en vais, et je vous préviens honnêtement. Nous partons samedi prochain ; mais nous reviendrons cette année au commencement de novembre. Si d’ici là vous êtes à Paris, avancez jusqu’à Villeneuve. J’aurois bien du plaisir à vous y recevoir, ainsi que toute la famille. Chateaubriand y viendra tard, car il a acheté au-delà de Sceaux un enclos de quinze arpens de terre et une petite maison. Il va être occupé à rendre la maison logeable, ce qui lui coûtera un mois de temps au moins et sans doute aussi beaucoup d’argent. Le prix de cette acquisition, contrat en main, monte déjà à plus de 30,000 francs. Préparez-vous à passer quelques jours d’hiver dans cette solitude, qui porte un nom charmant pour la sauvagerie : on l’appelle dans le pays Maison de la vallée au loup. J’ai vu cette vallée au loup. Cela forme un creux de taillis assez breton et même assez périgourdin. Un poète normand pourra aussi s’y plaire. Le nouveau possesseur en paroit enchanté, et, au fond, il n’y a point de retraite au monde où l’on puisse mieux pratiquer le précepte de Pythagore : « Quand il tonne, adorez l’écho. » Voilà, j’espère, une gazette très complète, et qui ne vous permettra plus d’ignorer comment va la partie du monde à laquelle vous prenez le plus d’intérêt. En revanche et en récompense, j’espère que vous terminerez ce recueil sur Rivarollet que vous m’avez tant promis[1], et pour lequel je vous promets en pot de vin un surcroît de bibliothèque. C’est, ne vous déplaise, un « Recueil de poésies[2], » imprimé chez Sercy, 5 volumes, qui sont rares et curieux. Je vous les garde dans un coin.

« Vous sentez que les événemens dont je vous ai fait le récit m’ont assez occupé pour excuser mes lenteurs à vous répondre. Je vous promets d’être plus diligent à l’avenir.

« Je n’ai pas négligé ce que vous me recommandez pour mes propres travaux. Vos approbations me sont chères, et je voudrois bien les justifier. Je puis vous assurer du fond du cœur et avec toute vérité que tous mes vœux seront remplis et toutes mes ambitions littéraires satisfaites, si trois ou quatre hommes

  1. C’est le petit volume intitulé : Esprit de Rivarol, qui parut en 1808.
  2. Poésies choisies de MM. Corneille, Benserade, de Scuderi, Bois-Robert, etc., etc., 1660-1666, 5 volumes in-12, connus sous le nom de Recueil de Sercy.