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d’audace. Il était permis de supposer que Laure n’avait rien négligé pour donner l’éveil à son père. Jolibois devait s’emparer du grand industriel ; il se chargeait de perdre la marquise et son fils dans son esprit, de relever le vicomte, de le mettre plus haut que jamais. Pendant ce temps, Gaspard se jetterait aux genoux de Laure, et justifierait, par l’excès même de son amour, toutes les manœuvres qu’il avait employées pour l’éloigner des La Rochelandier. Maître Jolibois fondait les plus grandes espérances sur une belle scène de passion, bien conduite et chauffée à point. Le vicomte prit l’engagement d’être brûlant, irrésistible.

Gaspard, qui connaissait les devoirs de l’hospitalité, avait offert à Jolibois de passer la nuit au château. Comme il tombait une pluie fine, le notaire avait accepté cette offre hospitalière. La soirée était avancée, mais pas assez pour que nos deux amis pussent déjà songer à se mettre au lit. Pour tuer le temps jusqu’à minuit, Gaspard proposa à Jolibois une partie de lansquenet.

— Et des cartes ? dit Jolibois.

— Galaor, dit le vicomte, fouille dans les poches de mon vieil habit.

Cinq minutes après, à la stupéfaction de maître Jolibois, Galaor déposa sur la table un énorme paquet de cartes.

— Et de l’argent ? dit Jolibois.

— Il est vrai, dit le vicomte, que je n’ai pas encore touché mes derniers fermages ; mais, grâce à vous, il reste encore quelques écus dans mon escarcelle.

Ils jouaient encore à deux heures du matin, et maître Jolibois avait perdu une somme assez ronde.

Après avoir déjeuné des débris du festin de la veille, Étienne Jolibois et Gaspard partirent en même temps pour la Trélade, Gaspard à pied, Jolibois à cheval, afin d’arriver le premier, comme ils en étaient convenus. Le tabellion s’avançait au trot de sa bête et repassait dans son esprit la harangue qu’il allait débiter à M. Levrault. Il n’était plus qu’à deux ou trois portées de fusil de la demeure du grand industriel, quand tout d’un coup sa figure prit une expression étrange.

Une idée diabolique venait de traverser la tête de maître Jolibois.


Jules Sandeau.

(La troisième partie au prochain no.)