Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/1025

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1019
MADAME DE KRUDNER.

dans la retraite, et qu’à Paris seulement on est apprécié. Tâchez qu’on ne vous devine pas. Faites imprimer ces vers dans le journal du soir… Envoyez-moi bien vite le journal où cela sera imprimé… Si le journal ne voulait pas s’en charger ou qu’il tardât trop, envoyez-moi-les écrits à la main, et on les insérera ici dans un journal… » Puis vient le prêté-rendu, la récompense offerte au bon docteur, la promesse de contribuer à lui faire acquérir en retour cette réputation que méritent ses talens et ses vertus : « Oui, digne et excellent homme, j’espère bien y travailler ; j’attends avec impatience le moment où, rendue à Paris, mon temps, mes soins et mon zèle vous seront consacrés : vous me ferez connaître La Harpe, auprès duquel est déjà un de vos amis. Je travaillerai auprès de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, d’une foule d’étranger de ma connaissance, et nous réussirons, car les intentions pures réussissent toujours. »

Là est surtout ce qui me choque, le jargon de pureté et de piété qui se mêle à de tels manèges. C’est, je le répète, ce qui m’effraie un peu pour l’avenir de Mme de Krüdner ; lorsqu’on s’est livré une fois à de pareilles combinaisons et qu’on y excelle, est-on bien sûr, même en changeant de matière, de se guérir jamais ? M. Eynard est de ceux qui croient qu’il y a un remède efficace et souverain par qui l’homme vraiment se régénère et parvient à se transformer du tout au tout. Des physiologistes et des moralistes plus positifs pensent seulement que celui qui a l’air de se convertir se retourne, et qu’à la bien suivre, la même nature, aux divers âges et dans les divers emplois, se retrouverait au fond jusque sous le déguisement. — Dans toutes ses lettres au docteur Gay, Mme de Krüdner continue de commander instamment les vers désirés et de varier l’inépuisable thème cher à son amour-propre ; elle continue de faire l’article, comme on dit : « Je vous ai prié d’envoyer des vers à Sidonie, nous les ferons insérer ici. Mais, tout en disant qu’on avait peint son talent pour la danse, il ne faut pas dire simplement on, mais dire : Un pinceau savant peignit ta danse, tes succès sont connus, tes graces sont chantées comme ton esprit, et tu les dérobes sans cesse au monde : la retraite, la solitude, sont ce que tu préfères. Là, avec la piété, la nature et l’étude, heureuse, etc., etc… Voilà, mon cher ami, ce que je vous demande pour elle, et je vous expliquerai pourquoi. » Cependant les vers arrivent ; elle en est enchantée, mais non satisfaite encore ; elle veut plus et mieux. « Je vous remercie de vos vers, ils sont charmans. Si vous pouviez, par vos relations, en avoir encore du grand faiseur Delille ? N’importe ce qu’ils diraient, ce serait utile à Sidonie. Vous savez comme je l’aime ! » Et elle ajoute, avec une crudité dont je ne l’aurais jamais crue capable : « Le monde est si bête ! C’est ce charlatanisme qui met en évidence et qui fait aussi qu’on peut servir ses amis. Je brûle de savoir votre projet et de travailler, comme je l’es-