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MADAME DE KRUDNER.

prenant hier, une admiratrice de Valérie, qui avait pleuré en la lisant autrefois, disait spirituellement : « Ah ! que je voudrais reprendre mes larmes ! »

Par cette page si agréablement écrite, M. Eynard nous montre que s’il avait voulu appliquer dans tout son ouvrage le même esprit de critique, il s’en fût acquitté très finement ; mais dès qu’il aborde la vie religieuse de Mme  de Krüdner, lui qui a été si adroit à pénétrer la personne mondaine, il croit tout d’abord à la sainte : il s’arrête saisi de respect, n’examinant plus, et ne voulant pas admettre que, même sur un fond incontestable de croyance et d’illusion, c’est-à-dire de sincérité, il a dû se glisser bien des réminiscences plus ou moins involontaires de ce premier jeu, bien des retours de cet ancien savoir-faire. Quand on a été une fois excellente comédienne, cela ne se perd jamais. Remarquez que dès-lors elle entrait dans sa seconde veine ; elle commençait à voir partout le doigt de Dieu ; et, même après avoir monté de la sorte ce succès de Valérie, elle est toute disposée après coup à s’en émerveiller et à y dénoncer un miracle : « Le succès de Valérie, écrivait-elle à Mme  Armand, est complet et inoui, et l’on me disait encore l’autre jour : Il y a quelque chose de surnaturel dans ce succès. Oui, mon amie, le Ciel a voulu que ces idées, que cette morale plus pure, se répandissent en France, où ces idées sont moins connues…. » En écrivant ainsi, elle avait déjà oublié ses propres ressorts humains, et elle rendait grace de tout à Dieu. Mais cette facilité d’oubli et de confusion me rend méfiant pour l’avenir. Qui me répond qu’elle n’ait pas fait plus d’une fois de ces confusions, qu’elle n’ait pas eu plus tard de ces oubli-là ?

Parmi les témoignages d’admiration en l’honneur de Valérie, M. Eynard cite le passage d’une lettre d’Ymbert Galloix, jeune homme de Genève, mort à Paris en 1828, et il le proclame un jeune poète plein de génie. Puisque j’en suis aux sévérités et à montrer que M. Eynard, sur quelques points, n’a pas eu toute la critique qu’on aurait pu exiger, je noterai (et le biographe du médecin Tissot me comprendra) qu’Ymbert Galloix, que nous avons beaucoup connu et vu mourir, n’avait réellement pas de génie, mais une sensibilité exaltée, maladive, surexcitée, et qu’il est mort s’énervant lui-même. Il suffirait que sur quelques autres articles le biographe eût apporté la même complaisance et facilité de jugement pour que nous eussions le droit de modifier certaines de ses conclusions.

Malgré tout, c’est chez lui désormais, et nulle part ailleurs, qu’il faut apprendre à connaître la vie religieuse de Mme  de Krüdner ; journaux manuscrits, correspondance intime, entretiens de vive voix avec les principaux personnages survivans, il a tout recherché et rassemblé