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déplaire, et il n’a pas défendu à nos généraux de lui présenter les clés de sa capitale Etait-ce donc pour n’y point entrer, ou pour y entrer en autre compagnie que la nôtre ? Il semble maintenant que Pie IX fuie nos baïonnettes protectrices avec autant de répugnance que le poignard des assassins de M Rossi, et peu s’en faut que nous n’ayons l’air de le violenter en le rétablissant sur son siège. Il se dérobe à nos poursuites les plus respectueuse et les déconcerte par ses froideurs ; il s’éloigne quand nous le conjurons de se rapprocher Il était à Gaëte, il va se réfugier à Portici ; de là peut-être ira-t-il à Lorette ou bien même à Bologne, chez les Autrichiens, on ne sait encore là-dessus rien de très positif, rien du moins, si ce n’est qu’il ne tiendra point à Rome, parce que nous y sommes. La belle avance à présent que nous y soyions ! Oui, sans doute, cette ironie ne serait pas mal placée dans la bouche des ennemis déclares de l’expédition ; mais convenait-il au pape de leur en donner le sujet ?

D’où viennent donc ces cruels dissentimens qui tiennent en échec le repos de l’Europe, et retardent une pacification si désirée après tant de secousses ? C’est toujours un mauvais procédé de demander aux gens qui ont déjà fait beaucoup pour vous plus encore qu’il ne leur appartient de faire, et principalement quand il est bien clair qu’ils ont été tout d’un coup jusqu’aux dernières limites du possible dans les conditions où ils étaient eux-mêmes placés. Pie IX devrait avoir appris, par son expérience personnelle, ce qu’il y a de qu’il y a de dur et de peu équitable dans les exigences croissantes des opinions ou des passions une fois éveillées par des encouragemens trop complets. Un pape peut bien aimer la popularité, il peut savourer les acclamations qui montent de la rue jusqu’aux balcons du Vatican, et ne pas dédaigner une promenade triomphale au Corso, fût-ce même sous l’égide de Ciceruacchio ; il peut, dans un noble accès de patriotisme, souffrir assez volontiers qu’on crie tout à la fois, en face de l’Autriche et vive le page ! Et dehors les barbares ! Il peut même, par une sincère passion pour les libertés modernes, commencer et précipiter des réformes nécessaires. Tout cela ne justifie pas les partis extrêmes qui croient pouvoir compter sur lui comme un héraut de révolution, comme sur un tribun d’avant-garde. Vouloir que le souverain pontife prêchât une croisade italienne contre des catholiques parce qu’ils étaient étrangers, vouloir qu’il se dépossédât de son autorité traditionnelle et cessât d’être un prince par la grace de Dieu, c’était méconnaître sans pitié la nature de son gouvernement, et tirer parti de ses premiers bienfaits pour l’attaquer dans ses dernières réserves. Voilà comment on est passé, vis-à-vis de Pie IX de la reconnaissance à l’ingratitude. On ne s’est pas résigné à comprendre qu’avec la meilleure intention du monde d’être agréable à son peuple, il ne pouvait pas cesser d’être lui-même et démentir par ses actes l’éternel caractère imprimé sur la tiare.

La France aussi porte un caractère qui est à elle et point à d’autres, qui lui vient du génie, du courage, de la gloire de enfin de la consécration des siècles. Elle a jusque parmi ses écarts, jusqu’au fond de ses abaissemens, un rôle marqué dans le monde, un rôle dont elle ne saurait se départir sans y être aussitôt ramenée par la force des événemens. La France ne peut pas se mettre à la place de l’Autriche, pas plus que l’Autriche ne peut se mettre à la sienne. Il est donc excessif de lui imposer de trop fortes contradictions avec elle-même, et ce n’est pas d’un grand cœur, comme est celui de Pie IX, d’oublier tout le