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Pendant que le parti montagnard s’évanouissait sur la brèche ou à la tribune au lieu d’y mourir, son chef, M. Ledru-Roliin, disparaissait. Cette fuite de M. Ledru-Rollin a vivement contrarié le parti : il s’attendait, à défaut d’une scène de triomphe, à une scène de martyre. Cela fait bien dans l’histoire d’un parti, cela même change souvent une défaite en victoire ; mais, que voulez-vous ? les vocations sont rares pour le martyre. Les gens, de nos jours, même dans la montagne, n’aiment pas les succès où ils n’ont point de part. Le ridicule de la chute de la démagogie ne doit pourtant pas nous cacher l’odieux de ses entreprises et l’étendue du complot du 13 juin. Chaque jour, la poste nous a apporté, des provinces d’abord, de l’étranger ensuite, la preuve des espérances et de l’attente des conspirateurs. Dans chaque chef-lieu de département, les frères et amis étaient à l’affût du courrier qui devait leur apporter la bonne nouvelle. À Carlsruhe, la victoire de l’insurrection parisienne était prédite à la tribune et saluée comme l’ère de salut des peuples. À Rome, même espoir, même attente de la délivrance. La démagogie, dans ce moment, ne jouait pas seulement la partie pour Paris ou pour Lyon, elle la jouait pour toute l’Europe, et elle l’a perdue aussi pour toute l’Europe.

Ça été une curieuse lecture, après la victoire, avouons-le, que celle de la stratégie des conspirateurs. Voici, par exemple, comment le Peuple Souverain de Lyon annonçait son plan de campagne :

« Savez-vous combien nous sommes et combien il nous faut de temps pour courir au secours de nos frères ?

« Nous sommes cent mille, et il nous faut trois jours pour être aux portes du faubourg Saint-Antoine.

« Et vous croyez que les ouvriers de Paris ne pourront pas tenir trois jours ! Détrompez-vous : nous aurons le temps d’accourir.

« Nous rassemblons en un jour à Lyon les montagnards du Dauphiné et du Forez ; avec cette masse de paysans et d’ouvriers, nous arriverons à Châlons en quelques heures, et là nous recruterons en passant les contingens du Jura et de l’Ain ; puis, marchant sur Vierzon, tête de chemin de Paris, nous entraînerons en passant les paysans de l’Allier, de la Nièvre et du Cher, dont les votes semblent avoir tracé sur la carte le chemin de Lyon à Paris.

« Deux autres colonnes nous y rejoindront le même jour.

« À gauche, les rudes et vigoureux Limousins, — Dordogne, — Creuse et Corrèze.

« À droite, les Bourguignons et les frontières, — Côte-d’Or, Haute-Saône…

« Et là, tous réunis sur cet embarcadère qui, dans dix heures, nous transporter au secours de Paris, nous fondrons comme l’avalanche… »

Tous ces plans, aujourd’hui, ressemblent, pour nous, aux plans de Pichrochole ; tenons-en compte cependant. Leurs espérances ont avorté ; n’allons pourtant pas en conclure que toutes les espérances du parti modéré sont fondés, et que, par exemple, si l’insurrection du 13 juin à Paris eût réussi, les provinces se seraient à l’instant même insurgées contre Paris. Je crois que plusieurs l’auraient fait ; mais l’auraient-elles fait avec ensemble ? Beaucoup n’auraient-elles pas cédé ? La magie du pouvoir central n’aurait-elle pas fait encore son effet ? Ce sont de graves questions. Evulgato imperii acamo, posse imperatorum alibi fieri quam Romæ, dit Tacite, quand les légions campées dans