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finissant. La marge du bien et du mal est variable en ce monde, et il y a de ce côté une part laissée aux efforts de l’humanité pour diminuer le mal et augmenter le bien ; mais l’existence du bien et du mal est nécessaire : les tyrans n’ont jamais pu détruire le bien, les saints n’ont jamais pu détruire le mal.

Nous n’avons fait notre querelle théologique aux signataires du manifeste constitutionnel que pour leur prouver que, quelles que soient les bonnes intentions qu’ils s’attribuent, ils ne sont cependant pas irrépréhensibles, et ce ne nous étonne pas, parce qu’à leurs bonnes intentions ils n’ont pas joint la charité ; mais nous nous hâtons de laisser là la théologie pour revenir à la politique.

La majorité a-t-elle intérêt à repousser de son sein les hommes qui veulent vivre avec elle sans se mêler à elle, et qui, en dehors de la communauté, cherchent à se ménager quelques petits avantages paraphernaux ? Non ; l’intérêt bien entendu de la majorité est d’accueillir sans aigreur cette petite église, et voici pourquoi. D’abord la majorité peut aisément se passer du concours des voix de la petite église. Elle est la majorité sans eux, elle peut l’être contre eux. La petite église ne peut pas devenir un tiers-parti, puisque le principe constitutif des tiers-partis, c’est de pouvoir, entre deux partis à peu près égaux, déterminer la majorité en se portant tantôt d’un côté et tantôt de l’autre, et qu’ici il n’y arien de pareil. Le cercle constitutionnel se porterait par impossible du côté de la minorité, que ce n’en serait pas moins encore la minorité. Un tiers-parti est donc impossible, et la majorité peut être tranquille de ce côté, puisqu’elle prend toutes ses garanties de sécurité en elle-même.

La majorité a cru devoir prendre dans le cercle constitutionnel les trois nouveaux ministres ; elle a bien fait, selon nous : elle les a pris, il est vrai, avant la publication du manifeste, mais les trois nouveaux ministres, MM. Dufaure, de Tocqueville et Lanjuinais, n’ont eu aucune part à la rédaction et à la publication du manifeste. Ce qui a décidé la majorité à ne pas tenir compte des différences d’origine ou de sympathie qui la distinguent de M. Dufaure, c’est qu’elle a fort bien compris que dans la défense de la société M. Dufaure tirait aussi loin que les hommes les plus énergiques de la majorité, et que cependant on ne dirait pas de M. Dufaure qu’en allant loin, il va quelque part. Personne ne soupçonne M. Dufaure d’avoir un autre but que celui qui est marqué par la constitution, et dans un temps où tout le monde veut le statu quo, parce que le statu quo est le moyen le plus certain de sauver la société, ceux qui passent pour avoir L’amour du statu quo sont préférables à ceux qui n’en ont que la patience. On croit que M. Dufaure est affectionné au relais actuel, et qu’il y borne sa carrière. Cela le rend donc plus propre que d’autres à conduire la voiture. Voilà ce que la majorité a senti. Le général Cavaignac était assez républicain pour faire la répression du 24 juin 1848. M. Dufaure, par la sympathie même qu’il a toujours témoignée pour le général Cavaignac, est assez républicain pour consolider, dans l’intérêt de l’ordre social, l’établissement du 10 décembre. La science politique consiste à savoir approprier les postillons aux relais.

Maintenant M. Dufaure a-t-il, depuis qu’il est ministre, failli à sa vocation ? A-t-il hésité à réprimer la révolte, à demander l’état de siége, à faire la loi sur les clubs, la loi sur la presse, à soutenir la lutte contre les montagnards, à