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Roussillon, et que celle qui se dirige sur le Pertus, point tout autrement intéressant pour les conquérans de l’Espagne, passe par Perpignan. Des convenances politiques différentes ont pu faire co-exister deux Ruscino voisins, l’un gaulois, l’autre romain. Tous deux ont disparu sous les pas des barbares ; mais les places de tous deux sont marquées par les substructions antiques et les médailles que recèle le sol[1]. La ville actuelle de Perpignan a été rebâtie au {{|s|IX}}, comme ces cités d’Asie ou d’Afrique dont les fondemens recouvrent des débris de murailles renversées, on ne sait par qui, et si l’on considère que la loi gothique, qui régissait au moyen-âge la Catalogne et la Septimanie, n’était pas reçue à Perpignan, que les habitans en étaient jugés selon le droit romain, il est difficile de ne pas reconnaître dans une exception si remarquable l’empreinte des traditions d’une origine latine renouées sous la main des fondateurs de la ville moderne.

Perpignan fut d’abord peuplé par des habitans des environs qui cherchaient un refuge contre le brigandage dont les campagnes étaient infestées. La première enceinte de la ville fut construite de 1163 à 1170, par Guinard II, qui transféra bientôt après le comté de Roussillon à la couronne d’Aragon, et les édits de 1480, du roi Alphonse II, expliquent l’empressement des populations à se grouper sous la main d’un pouvoir protecteur. L’enlèvement du bétail et des récoltes des cultivateurs, l’incendie de leurs habitations, l’assassinat des voyageurs et des pèlerins, la violation des sépultures, le pillage des couvens, le viol des religieuses, étaient les accidens secondaires et communs que la loi pénale avait à réprimer. Dans les temps qui suivirent, les querelles des princes voisins, les révoltes, les guerres intestines, continuèrent à désoler périodiquement la ville. Enfin, en 1462, l’Aragon s’étant soulevé, Louis XI fournit au roi don Juan II, dont il reçut en gage le Roussillon et la Cerdagne, un secours de 700 lances qui devait lui être payé 300,000 écus d’or aussitôt après la soumission de la Catalogne[2] : c’était un poids de 1,012 kilog. 50 d’or, au titre de 958, c’est-à-dire la matière de 167,200 de nos pièces de 20 fr. Cependant, lorsqu’il fallut livrer Perpignan à la France, don Juan, au lieu d’exécuter le traité, se jeta dans la ville et refusa : elle fut prise après une défense désespérée, dans laquelle s’accumulèrent toutes les horreurs des guerres les plus barbares.

Louis XI, on pouvait s’en rapporter à lui, avait tout disposé pour que le territoire engagé restât à la France ; mais, en 1493, son fils Charles VIII, courant follement à la conquête de Naples et voulant s’assurer la neutralité de Ferdinand II, lui remit le Roussillon, en dépit

  1. Marca Hispanica, l. I.
  2. Le texte du traité qui fut signé à Saragosse le 23 mai 1642 est dans les Mémoires de Philippe de Commines.