Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ne pouvez-vous pas, dit Hermann, m’indiquer trois cartes gagnantes ?

La comtesse se taisait ; il continua :

— Pourquoi garder pour vous ce secret ? — Pour vos petits-fils ? Ils sont riches sans cela. Ils ne savent pas le prix de l’argent. À quoi leur serviraient vos trois cartes ? Ce sont des débauchés. Celui qui ne sait pas garder son patrimoine mourra dans l’indigence, eût-il la science des démons à ses ordres. Je suis un homme rangé, moi. Je connais le prix de l’argent. Vos trois cartes ne seront pas perdues pour moi. Allons…

Il s’arrêta, attendant une réponse en tremblant. La comtesse ne disait mot.

Hermann se mit à genoux.

— Si votre cœur a jamais connu l’amour, si vous vous rappelez ses douces extases, si vous avez jamais souri au cri d’un nouveau-né, si quelque sentiment humain a jamais fait battre votre cœur, je vous en supplie par l’amour d’un époux, d’un amant, d’une mère, par tout ce qu’il y a de saint dans la vie, ne rejetez pas ma prière. Révélez-moi votre secret ! — Voyons ? — Peut-être se lie-t-il à quelque péché terrible, à la perte de votre bonheur éternel ? N’auriez-vous pas fait quelque pacte diabolique ?… Pensez-y, vous êtes bien âgée, et vous n’avez plus long-temps à vivre. Je suis prêt à prendre sur mon ame tous vos péchés, à en répondre seul devant Dieu ! — Dites-moi votre secret ! — Songez que le bonheur d’un homme se trouve entre vos mains, que non-seulement moi, mais mes enfans, mes petits-enfans, nous bénirons tous votre mémoire et vous vénérerons comme une sainte.

La vieille comtesse ne répondit pas un mot. Hermann se releva.

— Maudite vieille, s’écria-t-il en grinçant des dents, je saurai bien te faire parler ! Et il tira un pistolet de sa poche.

À la vue du pistolet, la comtesse, pour la seconde fois, montra une vive émotion. Sa tête branla plus fort, elle étendit ses mains comme pour écarter l’arme, puis, tout d’un coup, se renversant en arrière elle demeura immobile.

— Allons ! cessez de faire l’enfant, dit Hermann en lui saisissant la main. Je vous adjure pour la dernière fois. Voulez-vous me dire vos trois cartes, oui ou non ?

La comtesse ne répondit pas. Hermann s’aperçut qu’elle était morte.


IV.


Lisabeta Ivanovna était assise dans sa chambre, encore en toilette de bal, plongée dans une profonde méditation. De retour à la maison, elle s’était hâtée de congédier sa femme de chambre en lui disant