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venait, Élisabeth éteignit la chandelle qui brûlait dans la bobèche. La chambre s’éclaira d’une lumière blafarde. Elle essuya ses yeux noyés de pleurs, et les leva sur Hermann. Il était toujours près de la fenêtre, les bras croisés, fronçant le sourcil. Dans cette attitude, il lui rappela involontairement le portrait de Napoléon. Cette ressemblance l’accabla.

— Comment vous faire sortir d’ici ? lui dit-elle enfin. Je pensais à vous faire sortir par l’escalier dérobé, mais il faudrait passer par la chambre de la comtesse, et j’ai peur…

— Dites-moi seulement où je trouverai cet escalier dérobé ; j’irai bien seul.

Elle se leva, chercha dans un tiroir une clé qu’elle remit à Hermann, en lui donnant tous les renseignemens nécessaires. Hermann prit sa main glacée, déposa un baiser sur son front qu’elle baissait, et sortit.

Il descendit l’escalier tournant et entra dans la chambre de la comtesse. Elle était assise dans son fauteuil, toute raide ; les traits de son visage n’étaient point contractés. Il s’arrêta devant elle, et la contempla quelque temps comme pour s’assurer de l’effrayante réalité ; puis il entra dans le cabinet noir, et, en tâtant la tapisserie, découvrit une petite porte qui ouvrait sur un escalier. En descendant, d’étranges idées lui vinrent en tête. — Par cet escalier, se disait-il, il y a quelque soixante ans, à pareille heure, sortant de cette chambre à coucher, en habit brodé, coiffé à l’oiseau royal, serrant son chapeau à trois cornes contre sa poitrine, on aurait pu surprendre quelque galant, enterré depuis longues années, et, aujourd’hui même, le cœur de sa vieille maîtresse a cessé de battre.

Au bout de l’escalier, il trouva une autre porte que sa clé ouvrit. Il entra dans un corridor, et bientôt il gagna la rue.


V.


Trois jours après cette nuit fatale, à neuf heures du matin, Hermann entrait dans le couvent de ***, où l’on devait rendre les derniers devoirs à la dépouille mortelle de la vieille comtesse. Il n’avait pas de remords, et cependant il ne pouvait se dissimuler qu’il était l’assassin de cette pauvre femme. N’ayant pas de foi, il avait, selon l’ordinaire, beaucoup de superstition. Persuadé que la comtesse morte pouvait exercer une maligne influence sur sa vie, il s’était imaginé qu’il apaiserait ses mânes en assistant à ses funérailles.

L’église était pleine de monde, et il eut beaucoup de peine à trouver place. Le corps était déposé sur un riche catafalque, sous un baldaquin de velours. La comtesse était couchée dans sa bière, les mains jointes sur la poitrine, avec une robe de satin blanc et des coiffes de dentelles. Autour du catafalque, la famille était réunie, les domestiques en cafetan