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Un gouvernement mû par de pareils ressorts devait réaliser au moins une partie des prédictions de la Madre de Carrion. Après plusieurs années de violations des droits du pays, l’exaspération des esprits étant au comble, une querelle éclate en 1639, à Collioure, entre des femmes du peuple et des soldats de la garnison : le gouverneur du château disperse l’attroupement en tirant dessus à mitraille. Des rixes engagées à Perpignan répondent à cet acte de barbarie, et le 13 septembre, à propos d’un panier de raisin enlevé par un soldat, les habitans et la garnison espagnole en viennent aux mains. On se bat avec acharnement pendant six heures. En juin 1640, la ville, qui jouissait du privilège du logement des gens de guerre, se soulève contre la prétention d’un corps espagnol d’occuper le quartier Saint-Martin ; le canon de la citadelle lui répond. La querelle s’envenime ; la canonnade recommence. L’évêque, montant à la citadelle, en se mettant sous la protection du saint-sacrement, n’obtient, en retour de paroles de paix, que la signification d’un insolent ultimatum. La ville entre cependant en négociations et paraît prête à se soumettre. Tandis que la garnison en demande le pillage, elle convient de fournir deux cent cinquante maisons pour le logement des troupes. À peine cette offre est-elle acceptée, que de nouvelles exigences se manifestent on y cède encore ; mais les prétentions croissant de momens en momens, et les habitans ne sachant comment y satisfaire, le marquis de la Rena, gouverneur sous prétexte que l’obéissance n’est pas assez prompte, commence, le 14, à dix heures du soir, un feu si terrible, que le lendemain cinq soixante-quatre maisons étaient renversées ou réduites en cendres[1]. Ce fut alors que l’insurrection éclata. La Catalogne et le Roussillon s’offrirent à la France, dont le Richelieu gouvernait alors les affaires. Il accepta le Roussillon et voulut constituer la Catalogne en état indépendant, interposé entre la France et l’Espagne. Ce double projet le but ostensible ou caché de tous les actes politiques des années 1640, 1641 et 1642[2].

Nous faisions, depuis deux ans, une guerre heureuse des deux côtés des Pyrénées. Le printemps de 1642 sembla y donner rendez-vous à tout ce qu’il y avait en France de grand, de spirituel et de brave : Louis XIII et le cardinal de Richelieu, tous deux frappés d’un mal dont la cour et l’armée observaient les progrès avec anxiété et prévoyaient le terme fatal ; Mazarin, se préparant à continuer leur œuvre et surtout à recueillir leur succession ; Cinq-Mars, qui n’avait pas vingt-trois ans et devait

  1. Histoire de Roussillon, par M. Henry. I. R. 1835.
  2. Archives des affaires étrangères. Correspondances diplomatiques des années 1640, 1641 et 1642.