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nous étions à portée des silos des Flittas, et nous pouvions faire une rude guerre à leurs greniers. L’ennemi était, en effet, devenu insaisissable ; il avait disparu comme par enchantement, et nous n’avions plus devant nous que le calme extérieur, le calme du vide. La plupart des Flittas s’étaient réfugiés dans les bois avec leurs troupeaux ; il nous fallait recommencer ces chasses à courre que l’on nomme razzias, faire la guerre aux grains et aux troupeaux, la seule fortune de l’ennemi. C’est, en effet, par la possession ou l’anéantissement de ces deux biens que l’on arrive à avoir influence et action sur les Arabes. La razzia tant reprochée à l’Afrique, ce vol organisé, comme on l’appelait dans le style déclamatoire à l’usage des grands orateurs et des grands journaux de l’opposition, c’est tout simplement ce qui se passe en Europe sous une autre forme. Qu’est-ce que la guerre ? La chasse aux intérêts. En Europe, une fois maître de deux ou trois grands centres, le pays tout entier est à vous ; mais, en Afrique, comment atteindre une population qui ne tient à la terre que par les piquets de ses tentes ? Par quelle force, par quel châtiment, par quelle invasion venir à bout de ces hommes sans villes, sans maisons, pareils aux Scythes qui traînaient tout avec eux,

… Quorum plaustra vagas
Rite trahunt domos ?

On n’a d’autre moyen que de leur prendre le blé qui les nourrit, le troupeau qui les habille. De là la guerre aux silos, la guerre au bétail, la razzia.

Maintenant donc que l’ennemi avait perdu de son audace, nous reprenions la vie de partisans. Quelques épisodes caractéristiques suffiront pour donner une idée de cette vie si pleine de charme et d’imprévu sous le ciel de l’Afrique. Un jour que nous nous étions mis en chasse et en quête de très grand matin, nous pénétrâmes dans une affreuse ravine qui s’étend à l’ouest de la ligne de partage des eaux jusque vers la Mina. Le chemin que nous suivions n’avait pas deux pieds de large, et s’en allait le long des pentes rapides d’une colline, aboutissant au fond de la ravine qu’il côtoyait à gauche. Les chênes verts, les lentisques et les ronces recouvraient ce terrain dangereux. Au centre du bassin, les eaux s’étaient creusé un large fossé à travers les terres végétales, une ravine même dans la ravine. Pendant l’hiver, les eaux sans frein se précipitent furieuses de toutes ces montagnes, se frayant un passage, entraînant arbres et terres, creusant des conduits souterrains pour arriver plus vite à cette grande artère de cinquante pieds de large et de trente pieds de profondeur ; mais l’été venu, quand cinq mois il n’est pas tombé du ciel une goutte de rosée, il est facile de pénétrer dans ces issues souterraines. En ce