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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

Le défilé se prolonge sur un espace de cinq cents mètres, puis l’on est à Thiaret. Ce poste est bâti sur la limite du Tell et du petit désert en belles pierres de taille. Thiaret est renommé pour la saveur de ses eaux. Le Tell est la mère nourricière de l’Afrique, la terre qui produit le blé, de même que le Sersous nourrit d’innombrables troupeaux. Il semble que Dieu ait voulu établir une barrière entre ces deux terres, dont l’une est l’esclave de l’autre, celle-ci séparée de celle-là par un rempart de montagnes. Les montagnes de Thiaret sont les plus élevées de toute cette chaîne, et on ne peut les franchir que par trois passages. De Thiaret on découvre une partie du Sersous. Sous vos regards s’étend une plaine de petits mamelons rocailleux ; entre chaque mamelon s’échappe une source, et, grace à ces eaux bienfaisantes, poussent vigoureusement des herbages épais et substantiels qui nourrissent d’immenses troupeaux de moutons.

La guerre avait depuis long-temps empêché les marchands de ravitailler Thiaret. À notre arrivée, nous y trouvâmes une grande misère : il n’y avait plus que les vivres de campagne. Une bougie semblait une merveille ; on se rappelait vaguement avoir bu autrefois du vin. Heureusement l’orge et le fourrage ne manquaient pas, et, pendant deux jours, nos chevaux s’en donnèrent à cœur joie. Après ces deux jours, il fallut quitter Thiaret pour reprendre, malgré le froid et la glace, notre chasse à l’émir. Nous eûmes, pendant cette excursion, de longues et cruelles journées : point de bois, pas d’abri contre les vents ; quelques chardons, de la fiente desséchée, avec lesquels on faisait cuire les alimens, et, chaque matin, nos tentes raidies par le givre et les glaçons ; pour tout intermède, la pluie. En ce moment se montrait, pâli par l’abstinence et la désolation, le premier jour de l’année 1846 : c’était à nous surtout qu’il eut fallu souhaiter un bon jour et une bonne année, car enfin nous manquions de tout. Le sucre était mangé, l’eau-de-vie était bue, nous n’avions plus même un grain de café à mettre sous la dent. Sevrés des nôtres, loin du monde habité, loin de tout depuis trois mois, nous étions comme les passagers d’un navire. La colonne était devenue la patrie, la tente remplaçait la maison, l’escadron la famille ; les heures passaient actives, occupées, sans cesse en arrêt sur une émotion nouvelle, toujours remplies par l’attente d’un danger. Malheureusement la pluie et le vent, le froid et la grêle, nos grands ennemis, étaient les seuls qui ne nous fissent jamais faux bond : on eût dit que le 2 janvier ils s’étaient tous donné rendez-vous pour célébrer la fête de l’orage. Le 2 janvier fut un grand jour de tempête dans toute l’Afrique : quatre cent hommes périssaient dans la neige, à Sétif, le même jour où, en marche pour retourner à Thiaret, nous recevions une pluie de glaces, de neige fondue mêlée de grêlons énormes, poussée par un horrible