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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

terrible dans les révolutions : le mauvais moment, c’est quand on a fait son affaire, qu’on a triomphé, qu’on s’est acquis un petit bien-être : on voudrait rester tranquille, pas moyen ! Personne n’est content. Les ambitieux et les intrigans vous attaquent de tous les côtés. On voit des gredins qui n’ont pas paru au feu s’emparer tranquillement des meilleures places, et, ce qui est plus vexant, des réactionnaires avoués s’attaquer aux patriotes et finir par les dégommer. Voilà ce qui m’est arrivé en 48. Un brigand de royaliste s’est fait nommer représentant à ma place dans le département où j’avais proclamé la république. Si nous réussissons cette fois, comme je l’espère, souviens-toi que je veux être renvoyé là. Je suis doux, mais je te réponds de les mettre au pas. Le pouvoir ne nous échappera plus.

RHETO.

Que de sang va couler !

GUYOT.

Tu songes encore à ce vieux ?

RHETO.

Oui.

GUYOT.

Sois tranquille, les affaires te distrairont ; car, avec ton talent, tu ne peux manquer de jouer un grand rôle.

RHETO.

Guyot, tu es mon plus ancien ami, et je puis t’ouvrir mon cœur. Je t’avoue que l’avenir m’épouvante. J’ai envie de me retirer.

GUYOT.

Où ?…

RHETO.

Je ne sais. En Angleterre, en Amérique, loin de ces scènes de sang dont je n’avais pas prévu l’horreur.

GUYOT.

Quelle bêtise ! Je te dis que dans huit jours tu n’y songeras plus. Si tu t’en allais (d’abord ça pourrait bien n’être pas facile), tu regretterais de ne pouvoir plus travailler à la régénération du monde. Tu voudrais revenir, mais tu serais dépassé ; on t’appellerait déserteur, et on pourrait bien te faire sortir par la fenêtre à Capet. Tu verras les exilés, quand ils vont rentrer, la mine qu’on leur fera et qu’ils feront. Reste. Ce bruit, ces tumultes, ces batailles, ces conspirations, ces revers et ces triomphes, eh bien ! vrai, à la fin, ça amuse.

RHETO.

J’ai peine à le croire.

GUYOT.

Je ne l’aurais pas cru moi-même ; mais bah ! c’est encore une belle pièce, même pour les comparses, à plus forte raison pour les premiers sujets comme toi, mon vieux camarade… Et, à ce propos, il faut que je te donne un avis : prends garde au Vengeur ; il pourrait bien nous enfoncer tous.

RHETO.

Je sais qu’il est très redoutable. Le connais-tu ?

GUYOT.

Je le connais comme tout le monde, c’est-à-dire fort peu. On ignore d’où il