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REVUE DES DEUX MONDES.

PROTAGORAS.

J’aperçois une assez mauvaise figure.

DÉMOPHILE.

Cette fois je ne me trompe pas, voici un socialiste.

PROTAGORAS.

Faisons contenance.

DÉMOPHILE.

De l’audace, de l’audace, de l’audace !

PROTAGORAS.

Citoyen, vive la république, sacrebleu !

DÉMOPHILE.

Démocratique et sociale, tonnerre !

PROTAGORAS.

Cette voix est civilisée et même oratoire ; je la connais. — À bas les aristos !

DÉMOPHILE.

J’ai entendu ce bourgeois quelque part. — À la lanterne les aristos !

PROTAGORAS.

Plus de doute, c’est Démophile.

DÉMOPHILE.

Ah ! mon pauvre Protagoras, est-ce vous que je vois ? Vous êtes donc proscrit ?

PROTAGORAS.

Je le suppose, et vous ?

DÉMOPHILE.

Je dois l’être.

PROTAGORAS.

Démophile persécuté, lui qui a renversé deux dynasties !

DÉMOPHILE.

Protagoras forcé de s’expatrier, lui qui a tant servi la liberté !

PROTAGORAS.

Peuple ingrat !

DÉMOPHILE.

Peuple imbécile !

PROTAGORAS.

Où allons-nous ? où allons-nous ?

DÉMOPHILE.

Je vais tâcher de gagner l’Amérique. J’ai payé ma dette à la patrie ; j’ai fait ce que j’ai pu pour la sauver. Il ne me reste qu’à lui épargner un crime, et je m’enfuis. Si elle a besoin de moi, elle me rappellera. Entre nous, je la crois perdue. Les passions sont trop déchaînées.

PROTAGORAS.

J’espère encore. Parmi les chefs du mouvement, il y a beaucoup de mes anciens élèves. Je veux me tenir à portée de leur donner des conseils. Je vais me cacher dans quelque coin, mais prêt à reparaître. Je prévois une réaction qui sera pire que le mal.