Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
296
REVUE DES DEUX MONDES.

PROTAGORAS.

Des souvenirs, c’est possible ; des idées, je ne vous en connais pas.

PHÉBUS, souriant.

Ô jalousie ! Mes idées, mon cher, sont les vôtres. Vous ne les avez pas inventées, mais dégrossies. Je leur ai donné d’abord les ailes de la poésie pour s’emparer de la terre, et ensuite, à mon commandement, elles sont devenues des faits. Maintenant, ce que j’ai déchaîné, vous me verrez le contenir. Ce soir, ou demain, ou dans quinze jours, je serai dictateur, et je serrerai les freins de cette locomotive infernale qui parcourt en quelques mois le chemin des siècles.

(La foule remplit la rue et pousse des cris.)
DÉMOPHILE.

Mettez-vous donc à l’œuvre.

PROTAGORAS.

Séparons-nous. Nous formons un groupe qu’on pourrait trouver suspect.

(Démophile et Protagoras s’éloignent. Phébus monte sur une borne et se met en devoir de haranguer.)
UN HOMME DU PEUPLE.

Qu’est-ce qu’il veut celui-là ?

PHÉBUS.

Mes amis…

AUTRE HOMME DU PEUPLE.

Tiens, c’est Phébus… Veux-tu te cacher !

VOIX DANS LA FOULE.

À bas le réactionnaire ! C’est un aristocrate ! Faisons justice ! (On le fait descendre ; il est hué et un peu battu.)

UN ÉTUDIANT.

Citoyens, soyons généreux. Il nous a trahis, mais il nous avait rendu des services. Que ses services et ses talens le protègent, et qu’il s’en aille en paix chanter l’amour !

VOIX DANS LA FOULE.

Il mérite une punition !

L’ÉTUDIANT.

C’est un vieillard. Pardonnons en lui les faiblesses de l’âge et les écarts du génie. (Bas à Phébus.) Monsieur, je vous demande bien pardon, mais c’est pour vous sauver. (Haut.) Va, le peuple te pardonne ! Ta carrière politique est finie, fais-toi oublier. (Il le pousse par les épaules assez impoliment. Rires et huées.)

PHÉBUS.

Mon jour n’est pas encore venu.


IX.

Chez M. Dupuis.


JEAN DUPUIS.

Mais comment ça s’est-il fait ?