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tuelles caricatures est celle où il représente l’empereur en pâtissier tirant une fournée de petits rois en pain d’épice, pendant que Talleyrand lui prépare la pâte. Sur une table, il y a une douzaine de petits vice-rois en pâte qui attendent la prochaine fournée. Une autre fois, l’empereur est occupé, encore avec le prince de Talleyrand, à planter une pépinière de rois. Ailleurs, c’était au moment de la guerre d’Espagne, il est représenté en matador dans un combat de taureaux ; il a brisé son épée dans le flanc d’un de ces animaux, qui, furieux, le laboure de ses cornes. Les souverains de l’Europe forment la galerie. Dans le temps où une alliance semblait près de s’établir entre Napoléon et le czar, Gillray représenta le triomphe de l’Angleterre : c’était Britannia sur un char formé de la coque d’un navire traîné par un taureau irlandais et conduit par un matelot ; au char sont enchaînés le tyran corse et l’ours de Russie. Il faut dire que ce dessin était une satire du ministère anglais, car il est intitulé : Châteaux en l’air. Il y a aussi la Vallée de l’ombre de la Mort. Napoléon menant en laisse l’ours du Nord entre dans la sombre vallée et y rencontre le lion britannique, le terrier de Sicile, le loup de Portugal, et, montée sur un cheval de race espagnole, la Mort, qui les excite au combat. Il y a encore la Rencontre inattendue. Napoléon, qui voulait toujours attaquer l’Angleterre dans l’Inde, a passé à travers le globe et ressort tout à coup par le Bengale ; mais, à sa grande surprise, il y retrouve John Bull, qui l’attendait à sa sortie.

Gillray mourut en 1809. Après lui, la caricature perd, sinon de sa fécondité, du moins beaucoup de sa verve et de sa pointe ; au moment de la chute de Napoléon, elle ne fut que cruelle et vulgaire. C’est Gillray qui, le premier, popularisa le type célèbre de John Bull. Avant lui, Britannia et son lion étaient l’emblème habituel de l’Angleterre ; Gillray trouva et immortalisa ce tranquille, jovial, bien nourri et bien portant personnage que l’on retrouve maintenant dans tous les dessins anglais. Gillray a aujourd’hui l’inestimable avantage qui appartient aux morts. Nous oserions cependant affirmer que ses successeurs actuels ne lui sont pas inférieurs, et, à notre avis, la caricature politique, soit en Angleterre, soit en France, n’a jamais été aussi véritablement un art qu’elle l’est aujourd’hui. Depuis une dizaine d’années, les initiales H. B. ont signé un nombre incalculable de petits chefs d’œuvre, et chaque semaine le Punch enrichit un musée dont l’histoire la plus grave ne pourra plus se passer. Ce que nous disons ici des caricaturistes anglais, on le dit à Londres de Daumier, de Cham et de Bertall. Un jour viendra où tous ces élémens prendront leur place dans l’histoire, et l’auteur de l’Angleterre sous la maison de Hanovre aura l’honneur d’avoir ouvert cette voie nouvelle.

John Lemoinne.