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La discussion de l’assemblée législative sur l’assistance publique et les complications diplomatiques qui vont succéder à Rome, dans le Piémont et en Allemagne aux complications militaires, nous amènent naturellement à dire comment nous croyons que la bienfaisance publique et la diplomatie sont encore possibles en France.

Nous nous permettons de croire depuis un an qu’il y a dans les controverses sociales qui nous agitent beaucoup plus de questions théologiques qu’on ne le pense, et même, il y a quinze jours, nous reprochions à quelques hommes politiques de ne pas croire au péché originel, c’est-à-dire à l’existence du mal ici-bas. La discussion de lundi dernier nous a donné raison sur ce point. L’assemblée a discuté sur l’existence du mal ici-bas, sur les moyens que l’homme a de le diminuer et non de le détruire, toutes questions qui, pour s’envelopper de raisonnemens empruntés à l’économie politique, n’en sont pas moins des questions théologiques. L’assemblée a repoussé avec énergie cette doctrine homicide sur la terre et sacrilège dans les cieux, qu’il dépend de l’homme de changer l’ordre de la création, et que par des lois il peut détruire le mal, c’est-à-dire la lacune du monde présent et l’indice du monde futur. Les misères humaines peuvent être diminuées, la misère morale par la religion et par la vertu, la misère matérielle par l’assistance publique, bien mieux encore par le travail et par la paix mère de l’industrie ; mais que personne ne croie que la misère puisse être supprimée entièrement. Le croire, c’est être dupe ; le dire, c’est être charlatan.

Les hommes sont souvent tentés de parler comme Dieu et de dire à la misère : Ne sois plus ! à la richesse et au bonheur : Soyez ! paroles pompeuses qui sont d’un dieu tant qu’elles sont un bruit, qui deviennent d’un homme quand elles essaient de s’accomplir. Alors éclatent les colères et les dépits : Tu nous avais dit, Olympio, que tu pouvais supprimer la misère ici-bas, que tu avais du pain pour toutes les famines, des remèdes pour toutes les souffrances, des jouissances pour toutes les convoitises. J’ai faim, je souffre, je convoite ; nourris-moi, guéris-moi, satisfais-moi ! ou bien tu n’es pas un dieu ; tu n’es qu’un homme, et tu dois mourir pour m’avoir trompé. Heureux encore parmi ces trompeurs de la foule envieuse, heureux ceux qui meurent victimes et qui ne vivent pas pour être bourreaux ! Heureux ceux qui ne détournent pas contre les autres le coup qui les menaçait, qui ne disent pas : Je voulais, moi, que vous fussiez heureux ; mais c’est celui-ci ou celui-là, qui ne l’a pas voulu ! J’aime ceux qui se retournent contre le tigre qu’ils ont déchaîné et qui se font généreusement dévorer les premiers ; mais que penser de ceux qui jettent au monstre les corps de leurs semblables pour sauver leur misérable vie ? Et tout cela pour avoir voulu avoir la parole de Dieu ! tout cela pour avoir usurpé le fiat suprême ! L’assemblée législative n’a pas, grace à Dieu, ces prétentions faciles ; elle ne veut pas changer l’ordre de la création ; elle ne se croit pas la souveraine maîtresse du bien et du mal sur la terre. Nous honorons cette sagesse et cette intelligence. Le bien qu’elle peut faire, elle le fera ; le mal qu’elle pourra empêcher, elle l’empêchera. Elle ne demande pas au gouvernement que les pierres se changent en pains ; dic ut lapides isti panes fiant ! car elle sait quels sont ceux qui promettent ou qui demandent des miracles impossibles.

Dieu n’a pas voulu que la terre fût sans misère. Il faut donc se résigner à