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petits : sans niveau, point d’égalité, et, sans un roi ou un dictateur, point de niveau.

Mais nous laissons volontiers de côté les théories politiques pour en revenir aux avantages et aux inconvéniens pratiques de l’indemnité législative. M. Douesnel, chargé de faire le rapport sur la proposition de réduction soumise à l’assemblée, a cru devoir supputer ce qu’un représentant dépense en ports de lettres, ce que lui coûtent ses voyages, le prix de la vie à Paris, et il conclut que 25 francs ne sont qu’une indemnité suffisante. L’honorable représentant touche ici, sans le savoir, une des plaies du système de l’indemnité, nous voulons parler de la dépendance visible et officielle du représentant salarié. Les mœurs du suffrage universel ne sont pas douces et polies ; elles sont, rudes : c’est leur droit. Or, quand je vois un homme qui reçoit un salaire pour me représenter à Paris, j’en conclus grossièrement qu’il est mon homme d’affaires. La représentation des opinions est une idée délicate et élevée, qui échappe à beaucoup de personnes. La représentation des intérêts est une idée palpable et presque matérielle, accessible à toutes les intelligences. Loin donc que l’indemnité législative donne au représentant l’indépendance qu’il doit avoir, elle le rend plus grossièrement dépendant de l’électeur. On parle de ports de lettres. Les anciens députés en recevaient beaucoup, mais ils pouvaient n’y pas répondre ; ils n’étaient pas payés pour être exacts. Le représentant doit être exact, car l’inexactitude en lui ne sera plus taxée seulement d’impolitesse. Il ne gagne pas l’argent que je lui donne, dira l’électeur.

Si du parti montagnard et du parti républicain nous passons au parti modéré, et si nous cherchons ce qui peut caractériser la marche et les dispositions de ce parti pendant la dernière quinzaine, nous trouvons d’abord les élections parisiennes : elles ont été favorables au parti modéré ; ce qui nous en plaît surtout, c’est qu’elles ont été bien menées, avec calme et fermeté, avec discipline enfin. Le suffrage universel avec le scrutin de liste semble avoir été inventé tout exprès pour que l’électeur ne puisse jamais nommer ceux qu’il voudrait nommer, ceux qui ont sa préférence. Il n’y a pas de système qui sépare aussi complètement l’électeur de l’élu. Les élections ne sont plus une affaire de choix, mais une affaire de consigne. On vote un jour d’élections comme on manœuvre un jour de bataille, pour atteindre un but qu’aucun soldat n’a marqué, et que le chef seul connaît. Il suit de là qu’avec le scrutin de liste la première vertu de l’électeur, c’est la discipline, et son plus grand défaut, c’est l’indépendance ; mais un parti politique, sans renoncer à juger les instrumens dont il se sert, doit chercher à en faire, pour le moment, le meilleur emploi possible. C’est ce qu’a fait le parti modéré.

Le discours du président de la république à l’ouverture du chemin de Chartres caractérise aussi d’une manière curieuse les dispositions du parti modéré. Le président a le don de sentir l’instinct du pays, et de le suivre avec une rare fermeté de volonté. Aussi, pendant que le général Cavaignac écrivait contre le maréchalat, le président de la république invoquait à Chartres le souvenir de saint Bernard, et même le souvenir de Henri IV, dont il faisait un exemple politique et national, au lieu de le laisser aux souvenirs d’une famille. De ces deux paroles, celle qui reproche au bâton de maréchal son origine monarchique, et celle qui rassemble hardiment tous les souvenirs du passé, quelle