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peu de chose, que les plus absurdes systèmes trompent chaque jour de généreux esprits ; ce qui n’admet pas de dissentimens, grace à Dieu c’est l’éternelle morale : le sang est du sang, malgré tous les sophistes et l’assassin est un assassin. Il semble, en vérité, que l’esprit révolutionnaire propage par instans une concurrence fébrile ; une diabolique émulation dans le mal. M. Robert Blum et M. Arnold Ruge étaient à Francfort les deux coryphées du côté gauche : M. Ruge était le chef des esprits violens, des jeunes hégéliens, des aventuriers et des athées ; M. Robert Blum eût voulu rallier autour de lui les démocrates honnêtes. Une considération méritée, je l’ai dit, lui faisait une belle place à l’église Saint-Paul. Or, voilà que M. Arnold Ruge abandonne insolemment l’assemblée nationale, afin d’installer un congrès démocratique au milieu même du foyer révolutionnaire de Berlin ; aussitôt M. Robert Blum, resté seul, chef de la gauche, retombe sous la domination de ce parti, et, craignant de rester en arrière, il part pour Vienne dès la première émeute. Si M. Robert Blum eût été maître de ses actes, c’est à Francfort qu’était sa place, ou il n’aurait paru à Vienne que pour y rétablir l’ordre, pour y réprimer la démagogie, pour y faire enfin ce qu’il avait si noblement fait à Leipsig après l’insurrection de 1845.

C’est au milieu de ces émotions continuelles que le parlement délibérait sur la constitution de l’empire. Le jour où s’ouvrit le débat sur la vie ou la mort de l’Autriche, on apprenait à Francfort que le prince Windischgraetz était obligé de canonner les murs de Vienne. Le 22 octobre, la ville était déclarée en état de siége, et l’attaque commençait le lendemain. Pendant tout le temps que dura cette discussion extraordinaire, on recevait de jour en jour le bulletin du champ de bataille, lamentable récit où chaque parti sérieux ne pouvait trouver que des sujets de larmes. Après les violences de la démagogie, c’étaient les duretés de la réaction. La ville capitula le 29 et remit son sort sans conditions entre les mains du prince Windischgraetz. Les révolutions brutales portent partout les mêmes fruits, et nous vivons dans un temps où l’on s’estime heureux de passer du joug des clubs sous la rude protection du sabre. Les nouvelles de Berlin n’étaient pas moins inquiétantes. Excités par les événemens de Vienne, les démocrates prussiens tentèrent un coup de main le 31 octobre, bien décidés à faire une seconde révolution, qui réparerait les négligences et les oublis de la première. La révolution eut lieu en sens inverse ; Frédéric Guillaume se rejeta brusquement dans le parti extrême, comme si les événemens de mars étaient tout à coup effacés de l’histoire. Il forma un nouveau ministère, un ministère qui découvrait clairement la pensée personnelle du souverain et laissait entrevoir une lutte prochaine, une lutte irritée, entre Frédéric-Guillaume et les députés du pays. Le président de ce cabinet était un oncle du roi, le vieux comte de Brandebourg ;