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LES EAUX DE SPA.

peu faite pour changer de croyance, Rome, la tête même de l’Évangile éternel, offraient de toutes parts un asile, un ombrage, une source, une retraite, un paysage. En ce temps-là, le Mont-Blanc même était réactionnaire, et dans toute la vallée de Chamouny vous n’eussiez pas rencontré une seule fois le nom de M. Proudhon. Ah ! bien oui, M. Proudhon ! Ce grand peuple d’aubergistes et de servantes d’auberge se serait voilé la face d’épouvante et de désespoir. M. Proudhon ! tout le lac de Genève se fût glace à ce nom-là !

Dans ce désastre et dans cette ruine de la paix universelle, en plein juillet il faut surtout regretter l’hospitalité allemande. Si nous jetons les yeux sur la très petite carte du grand-duché de Bade, quelle suite incroyable de paysages, de souvenirs, d’histoires, de noms populaires, et d’autant plus qu’ils sont d’une prononciation difficile ! Il n’y a pas si long-temps, le savez-vous ? que chacun de ces beaux lieux, chers à l’oisiveté, recélait sous ses ombrages la foule heureuse des malades bien portans, enfans gâtés de la gaieté et de la fortune, qui font de la musique et du bal un véritable remède à tous les maux qui les affligent. Dans cette enceinte de jardins, de montagnes et de ruisseaux jaseurs, s’élevait, élégante de tout l’artifice des beaux-arts et parée en même temps de ses beautés naturelles, Bade, la reine des eaux. Bade était alors le vrai domaine de l’imagination et de la fantaisie ; elle appartenait à cette longue série de petits bonheurs que les Romains, nos maîtres en toutes choses, s’étaient plu à semer dans cet univers qui était leur conquête. Jamais une ville de plaisirs ne s’était rencontrée dans une position plus favorable : un parc immense, de fraîches avenues séculaires, une montagne éclatante de tous les feux du calme soleil, digne miroir des paysages d’alentour, — de ruines autant qu’il en faut pour décorer une noble région, de blanches maisons à peine suffisantes pour contenir leurs hôtes d’un jour ; — des prairies, des murmures, des légendes, des pèlerinages, des chevauchées, le luxe de Londres mêlé aux élégances de Paris, voilà Bade ! — C’était tout un enchantement, ce petit royaume champêtre sous le regard bienveillant de son prince légitime. — À ces fêtes de chaque jour il fallait ajouter la grande fête de la belle saison dans toute l’Europe, la seule joie en ce monde qui soit toujours nouvelle, l’émotion renaissante sans cesse et sans cesse renouvelée, — le jeu, puisqu’il faut l’appeler par son nom, et encore le seul jeu qui suffise aux passions du joueur, le jeu de hasard.

Ô Mentor, je vous vois d’ici qui vous voilez le visage. Comment ! dites-vous, voici un homme qui proclame le jeu comme un plaisir digne d’être avoué, et qui le met de plain pied avec les aspects les plus adorables de l’Allemagne : le château d’Eberstein, la vallée de la Mourgue, le lac des Fées, les jardins de la Favorite, et les délicieuses terreurs de