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LES EAUX DE SPA.

dez-nous les jeux que nous ont ôtés les magnifiques députés du sénat de Francfort, ô magnanime empereur !

Ainsi la politique d’une part, et d’autre part les jeux de hasard tout d’un coup supprimés ont également contribué à dépeupler l’Allemagne des cités oisives et des eaux florissantes. La sage Belgique, au contraire, a maintenu le petit jeu de la ville de Spa. En vain le gouvernement de sa majesté le roi de Prusse a réclamé contre cette humble roulette établie aux portes mêmes de la Prusse ; le gouvernement de sa majesté le roi des Belges a répondu qu’en effet le jeu établi à Spa était maintenu comme une condition de prospérité et comme une condition indispensable. C’est une chose très curieuse aujourd’hui, dans ce débordement de clameurs et de philosophies toutes faites, que de voir la Belgique résister au bonheur de faire de la déclamation et de la vertu à son tour.

La Belgique a bien fait : la morale peut gronder, mais la politique est contente ; le jeu, c’est la fortune de Spa. Depuis les grandes journées de Pierre-le-Grand visitant ces montagnes et mêlant à l’eau du Pouhon des tonneaux de rhum enflammé, depuis l’élégant et interminable congrès d’Aix-la-Chapelle, le jeu est resté la fortune de Spa. Un peuple pauvre, nombreux, condamné à une médiocre culture, ne saurait vivre de belles phrases bien sonores et de beaux discours bien philanthropiques. Que le Russe ou l’Anglais attiré dans ces montagnes par la passion des joueurs y laisse une faible partie de sa réserve de voyage, le villageois de Spa ne s’en inquiète guère ; il sait seulement qu’en trois ou quatre mois de la belle saison il doit gagner sa dépense de toute l’année ; il se dit que sa maison sera habitée par un voyageur, que ses fruits et ses herbages se vendront aussi cher que s’ils étaient de la meilleure qualité ; il veut avant tout louer son jardin, son âne, son petit cheval montagnard au pied sûr et léger. Tentez donc de lui démontrer qu’il faut chasser les joueurs de son village, et que désormais ce beau village doit se contenter des enfans rachitiques et des femmes vaporeuses, qu’enfin en bonne morale c’est un crime de toucher à ce facile argent que vous donne et que vous ôte d’un coup de sa roue violente le va-et-vient de la fortune : le villageois de Spa, de Coo, de Remouchamp, de tant de roches environnantes, ouvrira de grands yeux à votre beau discours. Allez plus loin : passez des discours aux effets, essayez de renverser une des trois maisons splendides que le jeu s’est élevées à lui-même entre ces roches stériles, et soudain la Belgique saura enfin ce que c’est qu’une émeute ! Donc qu’arriverait-il si quelque jour Spa voyait venir quelque constituante de pacotille, quelque assemblée nationale de hasard qui tiendrait séances sous la rotonde fleurie de la Redoute ou dans le parc du jardin Levoz ?