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inaccoutumé se fit sentir à l’Hôtel de Suède. On allait, on venait ; on déchiffrait des passeports. C’étaient quelques-uns des nouveaux compromis dans la conspiration du 13 juin, qui venaient de franchir heureusement la frontière de France. Un de ces hommes était mon ami. Les uns et les autres, ils comprenaient déjà les misères toujours croissantes de l’exil. Quoi donc ! en si peu de temps tomber de si haut ! Ô misère ! ces rois d’une époque troublée, ils ont disparu plus vite encore que les rois légitimes ! Les voilà donc, après avoir fait tant de bruit et semé tant d’inquiétudes, après s’être assis, maîtres absolus, sur les hauts siéges, qui en sont réduits à pâlir devant un gendarme, réduits à ne plus savoir l’heure du retour, et comment ils rentreront dans cette société dont ils sont l’épouvante, à quelles conditions et sous quels pardons !

C’est une triste rencontre, la fuite et l’exil ! et pourquoi ne pas tenir compte des batailles rangées où tant de gens que l’on aimait sont tombés à la fleur de l’âge, à l’apogée du talent, sans que l’on puisse savoir si quelque main pieuse leur a rendu les honneurs funèbres ? Cet homme était coupable, je le sais, bien coupable : il s’est battu contre la France, une balle française l’a frappé, c’est justice ; mais cependant laissez-nous déplorer l’influence funeste de ces révolutions qui corrompent les meilleures natures, qui pervertissent les ames les plus loyales. — Voilà pourtant ce que c’est que de toucher à la France ; j’étais tout à l’heure le plus heureux du monde dans la vallée de Spa, et voici déjà que ma tristesse me reprend, pour avoir rencontré des exilés et des morts à mon retour.

Jules Janin.