Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
REVUE DES DEUX MONDES.

On devait abuser d’une pareille facilité ; on en abusa en effet. La dette fondée s’accrut sans mesure ; des dilapidations de tout genre contribuèrent à la grossir. En 1775, au commencement de la guerre d’Amérique, elle s’élevait à plus de 132 millions sterl. ; elle fut presque doublée pendant les huit ans que dura la guerre. Jamais rien de pareil ne s’était vu jusqu’alors dans le monde, et les autres nations regardaient sans le comprendre ce spectacle extraordinaire.

La dette flottante était née en même temps que la dette fondée. Avant 1688, la distinction n’était pas faite. Toute dette était un engagement du trésor royal avec échéance fixe. Quand la plus grande partie de la dette se consolida, une autre partie, destinée à satisfaire des besoins momentanés, resta provisoire. Les premiers bons de l’échiquier remontent à 1697 ; ce fut une refonte générale des monnaies qui les rendit nécessaires. Plus tard, toutes les administrations particulières, celle de l’armée, celle de la marine, celle de l’ordnance, émirent des bons du même genre pour couvrir le déficit accidentel de leurs caisses. Ces bons portèrent d’abord un intérêt de 8 pour cent, puis de 7, puis de 6, puis de 5 ; ce dernier taux était en vigueur en 1783. À l’échéance, les caisses étaient rarement en état de payer, et de nouveaux bons étaient émis pour remplacer les anciens, ce qui ne les empêchait pas de circuler à leur valeur nominale, comme circulaient en France les bons du trésor. La dette flottante avait suivi la même progression que la dette fondée. En 1701, elle était de 2 millions et demi sterling ; en 1727, de 4 millions ; en 1739, de 7 millions et demi ; en 1775, elle avait été réduite par la paix à 3 millions et demi, mais, pendant la guerre d’Amérique, elle était remontée à un chiffre qu’il était à peu près impossible, en 1783, d’évaluer avec certitude, tant était grand le désordre général, mais que des consolidations ultérieures permettent de porter, comme on l’a dit plus haut, à 20 millions sterling ou 500 millions de francs.

Quelle que fût la puissance du crédit public, l’Angleterre commençait à s’alarmer sérieusement d’une telle accumulation de charges. Cette dette de 6 milliards de francs, dont 500 millions en bons à courte échéance, n’était pas d’ailleurs le seul legs que la malheureuse administration de lord North eût laissé à l’avenir. Il était dû en outre à la banque 2 millions sterling (50 millions de francs) qu’elle avait prêtés à l’état en 1781 pour obtenir le renouvellement de son privilège, et qui devaient être rendus en 1784. Le déficit non encore réglé des caisses publiques s’élevait approximativement à la même somme. Les habitans des colonies américaines qui avaient embrassé dans la guerre la cause de leur métropole, et qu’on désignait sous le nom de loyalistes, avaient été dépouillés de leurs biens et réclamaient des indemnités. La nécessité de payer un jour ou l’autre, aux frais de la nation, les dettes du prince de Galles devenait de plus en plus pressante. Enfin, il