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M. Combarel de Leyval. Le rapporteur justifiant la peine que la loi inflige à la publication de pièces fausses, « la publication de pièces fausses ou de fausses nouvelles, dit-il, réprouvée par les règles de la morale, n’avait pas dû être classée parmi les délits dans une organisation politique où elle restait sans influence sur les pouvoirs de l’état qui constituent un gouvernement ; mais, dans une société où les droits politiques appartiennent à tous, la publication de pièces fausses peut exercer une influence coupable, et fausser dans son principe la souveraineté populaire qui n’a pas moyen de la contrôler. »

L’argument est juste, mais d’une justesse à faire trembler. Oui, avec le suffrage universel, l’exercice de la liberté de la presse est plus difficile ; oui, quand les droits politiques appartiennent à tout le monde, quand le souverain est susceptible d’ignorance et d’égarement, il faut que la presse soit très scrupuleuse et très réservée, et comme il n’est pas de la nature de la presse d’avoir beaucoup de scrupules, il faut que la loi les lui impose. Il y a là tout un côté du suffrage universel qui n’a pas été suffisamment examiné, et il serait bon de rechercher ce que le maintien des droits politiques de tous coûte à la liberté de chacun, ou, en d’autres termes, ce que la souveraineté populaire coûte à la liberté. Une liberté qui, grace à l’extrême faillibilité du souverain, ne peut être sans dangers que si elle est sans abus, est-ce encore une liberté ? Ce que disons de la liberté de la presse, nous pourrions le dire aussi de la liberté de réunion et de la liberté de la parole : de telle sorte qu’il faut choisir, ce nous semble, entre les gouvernemens qui donnent beaucoup à la liberté individuelle de chacun, parce, que la société est assez forte pour résister à l’abus même de la liberté, et les gouvernemens qui ôtent presque tout à la liberté, parce que la société offre trop de prise aux passions ; entre les gouvernemens libéraux et les gouvernemens égalitaires, les gouvernemens libéraux qui aiment l’esprit et lui permettent beaucoup, les gouvernemens égalitaires qui respectent surtout le nombre, et qui croient qu’en politique chaque unité a la même valeur. Nous avons vu comment la première république avait traité la liberté de la presse : voyons ce qu’en a fait la seconde, celle de 1848, en 1848 même, et quand elle était encore tout près de son origine, quand elle était gouvernée par les républicains de la veille. C’est ici que vient se placer le discours de M. Thiers, cette virulente oraison funèbre de la république de 1848.

La montagne croyait avoir trouvé contre la nouvelle loi de la presse un argument irrésistible, un mot merveilleux ; elle l’appelait une loi de septembre ! bon Dieu ! ne frémissez-vous pas d’horreur ? Évidemment la montagne se croyait encore à ces beaux jours de 1848, ou M. Crémieux, brisant c’est son mot, les lois de septembre, s’écriait dans son rapport : « Considérant que les lois de septembre, violation flagrante de la constitution jurée, ont excité, dès leur présentation, la réprobation unanime des citoyens. » Cela est beau à dire quand on parle seul, c’est-à-dire le 8 mars 1848. Malheureusement la montagne s’est trouvée prise dans le piège qu’elle avait tendu : elle avait oublié que la république de 1848, si sévère contre les lois de septembre, avait fait bien pis. Elle avait oublié la loi du 11 août 1848, la suspension des journaux, l’état de siège et la constitution discutée pendant l’état de siège. Ce sont ces oublis de la montagne qu’a réparés M. Thiers. Quelle admirable éloquence ou plutôt quelle vérité brûlante ! il n’y avait pas un mot qui ne portât