Ainsi le salut de la Pologne n’a point cessé d’être pour nous un intérêt de sécurité et d’influence en Europe. Nous avons toujours la même raison de désirer que la nation polonaise échappe à la fatalité qui la poursuit. Je dis plus, peut-être ne nous est-il pas défendu d’espérer cette grande réparation des torts du destin. J’ai suivi de près les vicissitudes récentes de la race polonaise. À côté d’un principe de désordre que les événemens ont mis en fermentation et qui s’épuise par lui-même, j’ai partout découvert un principe d’ordre que le temps et les malheurs ont épuré et fortifié. Rousseau avait bien remarqué ce feu de la jeunesse, cette ardeur de patriotisme, cet instinct d’avenir que la Pologne a toujours conservés au fort même de ses malheurs et de son anarchie. « Elle est dans les fers, dit-il, et discute les moyens de se conserver libre ; elle sent en elle cette force que celle de la tyrannie ne peut subjuguer. Je crois, ajoutait l’auteur des Considérations sur le gouvernement de Pologne, je crois voir Rome assiégée régir tranquillement les terres sur lesquelles son ennemi venait d’asseoir son camp. » Rousseau avait raison : jamais la Pologne n’a montré plus de ressources d’esprit, de courage militaire, de génie poétique, de vie nationale que depuis la perte de son indépendance. Sur le territoire du royaume, des souffrances héroïques, des drames émouvans dont on ne parle point, mais qui restent confiés à la tradition des familles ; dans l’exil, tout le travail de la pensée libre, une action considérable sur les affaires d’une partie de l’Europe partout des cœurs fermes, les exemples de dévouement donnés par la vieillesse et suivis avec ardeur par les jeunes gens, le courage et le sacrifice prêchés et pratiqués virilement par les femmes elles mêmes : tel est le saisissant spectacle offert à quiconque jette un regard sur les débris de la nationalité polonaise. Aujourd’hui encore, la Pologne n’a point désespéré d’elle-même ; la foi lui reste au milieu de ses malheurs. C’est cette foi que nous devons sonder : si elle est féconde, il est toujours permis aux hommes de sens de s’associer aux espérances de la Pologne, et ses amis gardent dans les douleurs du présent cette satisfaction d’avenir. Soyons donc équitables et prudens ; ne nous hâtons point trop d’abandonner la Pologne sous prétexte qu’elle serait atteinte de la folie révolutionnaire qui nous perd nous-mêmes : l’insurrection d’un peuple qui cherche à secouer une domination étrangère n’est point de la démagogie, et si des Polonais se sont mêlés aux démagogues européens, c’est une erreur d’imagination dont quelques écervelés seulement sont coupables. Ne prenons pas trop facilement notre parti d’une ruine que nous avons naguère déplorée dans les mouvemens de l’émotion la plus vive, car les sentimens que le cœur nous inspirait alors, l’intérêt les approuvait ; il les eût dictés, s’ils n’avaient été le fruit spontané d’une antique et noble sympathie. Enfin n’acceptons pas trop complaisamment les décrets