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l’intelligence. Les secousses de bas en haut que rêvaient les démocrates, bien loin de sauver la Pologne, eussent achevé sa ruine. On sait que les conquérans de ce pays n’ont rien inventé de plus favorable à leur domination que d’opprimer la noblesse polonaise par les menaces ou par la main du peuple, espérant étouffer ainsi l’intelligence sous la matière. La théorie des démocrates, en ce point, s’accordait donc exactement avec celle du czar ; elle pouvait amener le suicide définitif de la Pologne. Alors se fût accomplie dans toute sa vérité, pour cette nation infortunée, la péripétie du drame du poète anonyme (Krasinski), de cette sanglante Comédie infernale[1], où le passé et l’avenir en guerre ouverte s’écroulent l’un après l’autre, celui-ci sur les débris de celui-là. Si ce n’est que le vainqueur eût été ici, non le Galiléen, mais le czar, rien n’eût été changé à la tragique et effrayante vision de Krasinski. Voilà où pouvaient conduire les erreurs de la démocratie polonaise sur les rapports des paysans et des propriétaires dans l’œuvre de la régénération nationale. Les conservateurs, qui se formaient une idée plus juste des ressources sociales et intellectuelles du pays, n’eurent pas de peine à assurer la prépondérance de leur propagande sur le sol du royaume.

Au reste, l’émigration avait beaucoup moins à faire en Pologne qu’auprès des nations amies dont le concours pouvait être nécessaire à l’insurrection ; mais sur cet autre terrain elle rencontrait de grands obstacles. Originairement, les émigrés polonais avaient été dominés par une illusion que les encouragemens de l’opinion libérale en France et en Angleterre contribuaient à entretenir. Ils avaient pensé que, l’appui des armées de l’Europe occidentale leur ayant manqué, ils trouveraient du moins un concours actif dans la diplomatie des gouvernemens constitutionnels, ils en reçurent en effet de constans témoignages de sympathie, des protestations d’amitié, mais aucun appui qui répondît à leurs voeux. Il était manifestement démontré par l’attitude réciproque de tous ces gouvernemens que la paix tendait à devenir un système européen, et qu’elle ne serait pas troublée tant qu’elle dépendrait des grands cabinets. L’idée d’un concours de la France et de l’Angleterre, ne fût-il que diplomatique, dut ainsi être rejetée parmi les rêves sur lesquels il n’était permis de faire aucun fondement. La Pologne était donc appelée à travailler en dehors de la sphère des gouvernemens établis pour se créer d’autres forces et d’autres alliances. C’est chez les peuples limitrophes, liés à la Pologne par un même sort, que l’émigration devait désormais concentrer les efforts de sa propagande. Les diplomates et les écrivains polonais s’appliquèrent sans relâche à

  1. La Revue des Deux Mondes a publié (1er octobre 1846) ce drame d’un sens si profond.