présente, comme dans le reste de l’Europe, sous un double aspect : elle est littéraire et diplomatique. Littéraire, elle est éloquente et passionnée, mais elle agite les imaginations plutôt qu’elle ne les conduit et les laisse ainsi suspendues dans le vague d’un sentiment généreux mal défini. Diplomatique, elle s’empare des dispositions d’esprit éveillées par les écrivains, elle les retravaille, elle leur donne une formule et une direction précises. Si elle ne parvient pas à les discipliner, c’est que la politique des Magyars oppose un obstacle opiniâtre à toute idée de transaction avec les Slaves et les Roumains.
Le slavisme avait précédé, en Bohême et en Croatie, la pensée polonaise. Les savans Schafarik et Palacki, le poète panslaviste Kollar, avaient, à la veille même de 1830, suscité l’idée slave en Bohême et dans la Hongrie du nord, parmi les populations de la famille tchèque. Dans la Hongrie méridionale, en Croatie et parmi les Illyriens de la Turquie, Louis Gaj d’Agram avait créé, en 1835, sous le nom d’iliyrisme, une agitation littéraire et politique de la même nature. Lorsque le slavisme polonais se présentait sur ce terrain, le sol se trouvait donc préparé ou plutôt déjà remué, déjà fécondé par le labeur de toute une génération de poètes et de savans. La création d’une chaire de littérature slave à Paris fut l’un des instrumens les plus favorables aux mains de la propagande polonaise. M. Adam Mickiewicz était, à cette époque du moins, l’homme le plus apte à exercer, du haut de cette chaire, une vive et puissante influence en pays slave. Certes, M. Mickiewicz ne possédait pas la précision virile et la maturité substantielle du génie français : il avait tous les défauts auxquels peuvent conduire les entraînemens d’une sensibilité immense, tristement éprouvée ; mais il avait aussi les avantages de cette sensibilité profonde, le feu et le lyrisme exubérant des peuples jeunes. M. Mickiewicz était un légendaire philosophique, une sorte de barde initié aux sciences mystérieuses. Son esprit s’était formé et développé sous l’influence des traditions asiatiques de la Lithuanie où il était né. Il offrait en toute sa personne un je ne sais quoi du poete-prêtre, du vates des civilisations primitives.
En quittant la poésie pour le professorat, la fiction pour la science. M. Mickiewicz était resté le même homme. Son caractère, son style, ses allures, sa vois, passaient dans son éloquence ; la tribune n’était pour lui qu’un trépied d’où il semblait rendre des oracles plutôt que tenir école d’érudition et de grammaire ; il enseignait avec la foi et l’ardeur d’un sectaire. Les hommes de cette nature marchent perpétuellement à côté de deux écueils : l’exagération et l’illuminisme. En revanche, leur foi a du moins un accent de sincérité qui touche et persuade jusqu’au moment où l’on est forcé de les plaindre. Pour nous autres sans doute, élevés dans le sein d’une patrie souriante, nourris par une philosophie railleuse, M. Mickiewicz présentait une