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Il fit adopter ces vues à sa famille, et décida ses frères à le seconder dans ses recherches.

Le système des règles mobiles, qui avait fonctionné heureusement lorsqu’il ne s’était agi que d’une correspondance entre deux points, rencontra des difficultés insurmontables quand on voulut multiplier les stations. On renonça donc à cette combinaison pour essayer l’électricité. Dans ses travaux de physique, l’abbé Chappe s’était surtout occupé d’électricité, et cet agent semblait si bien satisfaire à toutes les conditions du problème télégraphique, que des essais de cette nature étaient pour ainsi dire dictés d’avance. Son cabinet de physique permit d’entreprendre les expériences ; mais les frais qu’elles occasionnaient ne tardèrent pas à s’élever si haut, qu’il fallut vendre tous les instrumens. D’ailleurs, ces essais n’amenaient aucun résultat satisfaisant. On en vint alors à se servir d’un corps opaque, isolé dans l’atmosphère, et qui, par son apparition et sa disparition, indiquait l’instant précis de marquer le chiffre désigné par deux pendules placées aux deux stations et parfaitement concordantes entre elles. On put ainsi correspondre régulièrement et avec une grande promptitude à trois lieues de distance. Ces résultats furent parfaitement constatés par des expériences spéciales dont le procès-verbal existe encore, et qui furent exécutées en présence des officiers municipaux et des notables du pays, au château de Brûlon.

Muni de ces procès-verbaux, l’abbé Chappe vint à Paris vers la fin de 1791, et, après bien des démarches, il obtint la permission d’élever un de ses télégraphes sur le petit pavillon de gauche de la barrière de l’Etoile. Deux de ses frères le secondaient dans ses expériences, qui donnèrent les meilleurs résultats mais une nuit plusieurs hommes masqués envahirent le pavillon et enlevèrent le télégraphe. Cette mystérieuse disparition de leur machine, qui n’a jamais été bien expliquée, découragea les inventeurs et refroidit leur zèle. Ils auraient probablement renoncé pour jamais à l’entreprise sans un événement qui vint leur rendre quelque espoir. L’aîné des frères Chappe fut nommé, par le département de la Sarthe, membre de l’assemblée législative. Comptant dès-lors sur le crédit du nouveau député, l’abbé Chappe retourna à Paris et obtint l’autorisation d’établir un autre télégraphe dans le beau parc que Lepelletier de Saint-Fargeau possédait à Ménilmontant. Ce nouveau télégraphe consistait en une sorte de grand tableau de forme rectangulaire, qui présentait plusieurs surfaces de couleurs différentes, et dont l’axe pivotait de telle sorte que ces surfaces paraissaient et disparaissaient à volonté. Ce n’était pas encore là, comme on le voit, le télégraphe actuel ; c’est néanmoins la disposition qui a servi de modèle au télégraphe aérien aujourd’hui en usage chez les Anglais.

Les frères Chappe travaillaient avec ardeur à perfectionner et à régulariser le jeu de leur appareil, lorsqu’un matin, au moment où ils entraient dans le parc, ils virent accourir vers eux le jardinier tout épouvanté, qui leur cria de s’en fuir. Le peuple s’était inquiété du jeu perpétuel de ces signaux ; on avait vu là une machination suspecte, on avait soupçonné quelque correspondance secrète avec le roi et les autres prisonniers du Temple, et l’on avait mis le feu à la machine. Le peuple menaçait de jeter aussi les mécaniciens dans les flammes, s’ils osaient paraître. Les frères Chappe se retirèrent consternés. Cependant Claude Chappe ne se laissa point abattre. Il voulut poursuivre jusqu’au bout une découverte dont la première pensée lui appartenait. Pour la troisième fois, il demanda l’autorisation d’établir de nouvelles machines à ses frais, et il l’obtint