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PITT ET LES FINANCES ANGLAISES.

en personne, le 26 mai, à la chambre des pairs pour donner son assentiment, cérémonie complètement inusitée au milieu d’une session et destinée à frapper davantage les esprits. En présentant le bill au roi, le président de la chambre des communes prononça un discours où la réduction progressive de la dette publique était présentée comme un fait désormais acquis et assuré. Sous l’empire de cette espérance, les fonds publics montèrent rapidement. Comme il ne devait pas y avoir cette année d’emprunt donnant lieu à de gros bénéfices, les capitalistes durent mettre leur argent dans les fonds ordinaires. Une circonstance heureuse vint en outre en aide à Pitt. L’année précédente, un bill avait été proposé par le ministère pour imposer à quiconque reviendrait de l’Inde en Europe l’obligation de faire connaître sous serment l’état de sa fortune ; à cette nouvelle, une foule d’Anglais riches revinrent dès 1786 et s’empressèrent de réaliser leur fortune avant que le bill fût en vigueur ; il en résulta un versement prodigieux de numéraire en Angleterre et une foule de placemens dans les fonds publics. Le 3 pour 100 monta à 73 ; il était à 56 à l’avènement de Pitt.

L’année 1786 est peut-être la plus importante de l’histoire financière de la Grande-Bretagne. À partir de cette année, cesse le désordre des administrations précédentes, un budget régulier est fondé. Le ministre proposa en outre, avant la fin de la session, une mesure qui devait compléter ce qui avait été fait en 1784 pour les thés et les spiritueux ; il s’agissait des vins. La quantité de vin annuellement consommée dans le pays allait nécessairement croissant, comme toutes les consommations, et cependant les recettes de la douane sur cet article baissaient. Pitt y vit la preuve d’une contrebande active, et proposa pour l’arrêter de transporter le droit sur les vins de la douane à l’excise. C’était de nouveau beaucoup oser, car l’excise était particulièrement impopulaire. L’opposition jeta feu et flammes. Les marchands de vin firent pétitions sur pétitions. Le bill passa cependant sans difficulté, et les prévisions de Pitt ne tardèrent pas à se vérifier ; avant que le vin fût soumis au régime de l’excise, il en entrait annuellement 12 à 13,000 tonnes ; après l’adoption du nouveau régime, il en entra 18,000, et bientôt après, le droit ayant été réduit, 22,000. Ainsi se justifiaient l’une après l’autre par l’expérience presque toutes les innovations du premier ministre. On n’avait jamais vu le génie fiscal braver l’impopularité avec cette audace et réussir dans ses entreprises avec ce bonheur.

En même temps qu’il apportait dans la perception des impôts ce soin de plus en plus rigoureux, Pitt ne négligeait aucun moyen d’augmenter l’activité nationale, source unique de tout revenu. Il négociait depuis quelque temps un traité de commerce avec la France ; ce traité fut signé le 29 septembre 1786. On aura peine à le croire de nos jours, mais ce fut là peut-être la nouveauté la plus hardie de Pitt, celle dont